Chroniques régulières sur des livres, présentations de nouveaux auteurs

BLANCHE NEIGE… vingt ans après

Un bref résumé d’un des contes de notre enfance ; un rapide rappel si certains ont oublié… :
Il était une fois une jeune femme si belle que sa belle-mère jalouse de sa beauté a tenté de la faire disparaître, mais échoua. La jeune fille put se réfugier dans une petite maison habitée par sept nains qui l’ont cachée afin la protéger. La marâtre obstinée découvrit la cachette et s’y rendit déguisée afin d’empoissonner Blanche Neige avec une pomme. La jeune femme presque morte fut sauvée par le Prince Charmant qui passait par là. Séduit par sa beauté, il embrassa la belle jeune femme, la prit dans ses bras et sous l’effet de ce mouvement, elle put cracher le morceau de pomme empoisonné. Elle revint à la vie et ils se marièrent… Invitée au mariage de force par le père de la mariée, la méchante reine fut condamnée à danser avec des chaussures de métal chauffées au rouge jusqu’à ce que mort s’ensuive…
Vingt ans après nous en sommes là…

Première partie :

« Je n’y crois pas ! Je ne pensais pas capable d’autant de cruauté ! Et pourtant, si : j’éprouve une joie et un soulagement incomparable avec cette disparition… Regarde, Prof, mes yeux restent secs. Mon père n’est plus, et aucune peine n’habite ma conscience. Quel est cet étrange sentiment de satisfaction ? Comment ai-je atteint une cruauté à un degré si extrême ? Serai-je devenue dénuée de sensibilité ? ». Blanche Neige, la quarantaine bien marquée, parlait sans discontinuer depuis son arrivée chez Prof. La loquacité de la quarantenaire, d’un naturel d’habitude très digne et réservé, déroutait un peu son ami qui essayait d’apaiser ses tourments. Il choisissait chaque mot pour accompagner de sages paroles afin de tenter de la réconforter : –  » Ma pauvre Blanche Neige, après ce que tu as vécu par la faute de ton paternel affecté de démence, ton ressenti est normal. Crois-moi, le contraire serait presque inquiétant. Ta colère et ta rancœur, mon amie, sont compréhensibles par tous ceux qui t’aiment et te connaissent. La roue de la fortune a tourné et le bon arrive : Vois ton avenir s’éclaircir dès ce jour ; je te garantis que ta vie va s’arranger. Tu verras… Abandonne cette mauvaise habitude forcée de te sentir sur le qui-vive en proie à tous les dangers : la sérénité te deviendra bientôt coutumière comme elle l’était dans ta tendre enfance.
Cela fait si longtemps Prof, que je n’en ai plus souvenir ! » dit Blanche dans un soupir.

Prof et Blanche Neige conversaient face à face devant un chocolat chaud dans la bicoque où vingt ans plus tôt elle avait été recueillie et réconfortée à force de générosité par toute la fratrie de Prof.
Prof et Blanche Neige conversaient face à face devant un chocolat chaud dans la bicoque où vingt ans plus tôt elle avait été recueillie et réconfortée à force de générosité par toute la fratrie de Prof.

Lui, l’aîné, avait toujours refusé de suivre ses six frères et quitter cette masure qu’il affectionnait malgré un inconfort croissant, les années passant. Malgré maintes propositions, Prof ne s’était jamais laissé convaincre de déménager dans une des nombreuses dépendances du château de son amie Blanche Neige son mari Gontran. Le couple y avait aménagé des petites résidences offrant un cadre pourtant bien plus moderne et fonctionnel que sa bicoque qui lui servait aujourd’hui de logement. Le vieux nain avait renoncé à toute commodité, sans que ce soit néanmoins vécu comme le fruit d’un sacrifice. Toute son existence, il avait ambitionné de s’adonner totalement à sa passion : la physique et les sciences mathématiques. Buté, ou philosophe, il s’était satisfait de ses choix et de son modeste quotidien, ayant même refusé toute suggestion de rénovation de sa maison qui ne ressemblait bientôt plus à un foyer mais à une bicoque délabrée. Cette liberté de pouvoir enfin vivre seul et reclus dans cette demeure, même dépourvue du moindre confort à son sens superflu, lui permettait de se consacrer en exclusivité à ses travaux de recherches. Le produit de son travail lui assurait des moyens très substantiels dont il distribuait régulièrement une bonne partie au gré des besoins d’autrui ou pour des œuvres charitables qui lui semblaient méritoires. Sans tomber dans le risque des travers de l’égoïsme, cette vie d’ermite était prémunie d’une solitude totale, car la bienheureuse sagesse et son affection pour ses frères et Blanche Neige lui garantissaient des contacts réguliers avec eux et l’extérieur.
Voilà maintenant que déjà vingt ans se sont écoulés depuis ce jour où le prince Gontran a posé ses lèvres sur la belle Blanche Neige et lui a insufflé la vie. Tout le monde pensait que du même coup, le décès de la marâtre diabolique, cette démonstration d’amour et leur idylle fleurissante aurait délivrée la jeune femme des manigances et malversations nuisibles. Heureux d’être débarrassés de cette sorcière le jour du mariage de Blanche Neige et Gontran, les sujets du royaume de Gontran malmenés depuis des lustres par cette sorcière, bénirent cette journée.

 

 

Les noces passées laissaient présager une sérénité recouvrée mais pour Blanche Neige, la disparition de l’ignoble femme n’avait pas apaisé ses tourments ; son esprit  pur avait été marqué au fer rouge. La nécessité incommensurable de soutien moral avait été vivement préconisée par les meilleurs professionnels dès les premières années du mariage du jeune couple. Combien de thérapeutes successifs avait-elle dû consulter depuis la disparition de sa belle-mère pour extirper la détresse psychologique qui la malmenait depuis ? Elle ne les comptait plus !  Son destin était décidément semé d’embûches ; son passé trop lourd encombré de violences psychologiques répétées ne la laissait pas indemne d’autant que ses tendres années ne l’y avaient pas préparée. Elle avait ainsi fait la fortune de tous les cabinets de professionnels à connotation « psy » et bien-être du royaume. Elle pouvait se targuer d’avoir lancé une nouvelle mode dans l’engouement de nouvelles formations plus ou moins efficaces, où humanistes convaincus et charlatans faisaient fortune. Sans effet sur Blanche Neige, aucun ne lui a procuré un quelconque réconfort satisfaisant pour la soulager de ses tortures morales au souvenir des horreurs qu’elle avait endurées.
La méchanceté de sa marâtre avait traumatisé Blanche Neige à tout jamais, elle ne se remettait pas de la convoitise qu’avait pu susciter son physique. Elle le savait certes agréable, voire gracieux, mais cette beauté subjective ne justifiait aucunement l’ampleur d’une jalousie et une haine si féroce dont elle avait été l’objet.
Pour ajouter à sa souffrance morale, son père Adélard ne l’a pas épargnée. Non seulement, il lui avait imposé cette malfaisante belle-mère durant toute son enfance mais ce suzerain renommé pour sa générosité extrême, s’est laissé manipulé jusqu’à se été envoûté par ses divers sortilèges de sa bien-aimée. Sous l’influence de ces maléfices, il était devenu obnubilé par le souvenir de cette épouse idéalisée au point de lui faire perdre toute objectivité dans ses jugements ; son épouse l’avait hypnotisé aux seules fins de saccager le bonheur de Blanche Neige avec Gontran. La manigance à base de formules tarabiscotées et recettes endiablées fut si efficace que le second veuvage du vieil homme métamorphosa le bon souverain en tyran manipulateur sur ses sujets qu’il s’évertuaient à utiliser sans vergogne, en vue de la réussite de son entreprise destructrice. Un sentiment de vengeance exacerbé à l’encontre de sa fille avait flétri son bon sens et sa raison. Son aigreur et sa rancœur étaient devenue si notoire dans les contrées alentours qu’on le redoutait un peu. Il mettait à contribution toute son imagination prolifique pour produire sans cesse de terribles machinations dans la réussite de son « objectif » obsessionnel : anéantir le bonheur de sa fille unique, responsable à ses yeux de la perte de sa femme adorée.
Deuxième partie :
Prof rappelait à son amie les horreurs provoquées par Adélard, son paternel qu’elle avait tant aimé et admiré :
– Tu apprécieras ta nouvelle vie plus sereine Blanche, sans devoir être sur le qui-vive. Rappelle-toi les stratagèmes mis en place par ton père : organiser le rapt de ton fils aîné, faire bruler les champs de maïs et les récoltes de foins dans le vil but de provoquer une disette sur le royaume de Gontran. Même ses propres sujets le craignaient, il était devenu son propre ennemi et l’ennemi de tous en cherchant à t’atteindre.
– Dire que c’était la bonté-même avant qu’il ne soit sous l’emprise de cette folle ! Il m’a tenue pour responsable de la mort de ma belle-mère, alors que c’est elle qui ne supportait pas mon existence, et mon bonheur naissant avec Gontran… une félicité si éphémère. Comme si le fondement d’une vie heureuse reposait sur la beauté.
Blanche Neige soupirait. Cette succession de malheurs endurés à cause de cette belle-mère rongée de jalousie et d’un père envouté par le charme de cette sorcière !
Malgré toute la patience de son mari Gontran, prévenant et à l’écoute du moindre de ses vœux, les plus insignifiants ou infimes, la jeune femme vivait peu à peu recluse à partir du lendemain de leur mariage. Contrite dans une profonde mélancolie, seule la visite d’un de leurs amis les nains parvenait à atténuer son état de léthargie. Elle dépérissait au fil des jours et des années ; ses proches impuissants s’alarmaient de voir sa grâce naturelle flétrir à vue d’œil ; les méandres de son moral se répercutaient indéniablement sur son physique général : L’amour et l’affection de son père lui manquaient, l’harmonie de jadis qui existait entre eux était anéantie. Impossible à Blanche de faire son deuil de la déraison si brutale d’Adelard ; le sentiment d’être victime d’une injustice l’avait atteinte au plus profond de son être. Le corps, chez certains humains est parfois la vitrine de l’âme et l’esprit. C’est le cas de Blanche Neige, où accablée d’un moral en berne, sa beauté s’altérait en même temps que sa foi dans le bonheur. Seul, son cœur indemne et pur avait réussi à épargner sa bonté et l’amour pour son époux et ses amis.
L’entrain de Blanche Neige réduit à néant de jour en jour la confinait dans son château où aucun prétexte ne la stimulait pour en sortir ou à en s’éloigner. Ses seuls amis, les nains lui garantissaient un semblant de vie sociale. A cette fin, ils prenaient soin de se relayer à ses côtés pour lui assurer une compagnie constante, d’autant que les absences de Gontran se répétaient. Forcé par ses affaires, le châtelain était contraint de partir régulièrement mais ses déplacements se prolongeaient de plus en plus.
Les premières années du mariage, la force et l’entrain procurés par ses maternités successives parvenaient à égayer la jeune maman, revigorée par l’amour de ses trois enfants pour supporter et minimiser les menaces de son père. Mais, les enfants grandissant, sa joie s’est peu à peu émoussée et les méchancetés récurrentes de son père, ternirent l’harmonie familiale. Les enfants devaient assister impuissants au spectacle régulier de crises de larmes inexpliquées d’une Blanche Neige déprimée, rendue insensible à l’efficacité des psychotropes prescrits. Afin les protéger de ces scènes éprouvantes pour des petits en si bas âge, Gontran décida à contrecœur de confier leur éducation à son cousin dans une contrée voisine. Cette solution bénéfique pour les enfants, fut tragique pour leur mère convaincue d’être une mauvaise mère ; elle redoubla alors ses séances
auprès de psychologues, et tripla la dose de ses traitements.
En parallèle, durant ces vingt ans d’épreuve, sa splendeur ravageuse d’antan s’était ternie pour laisser place à une beauté fade, quasi insignifiante pour la métamorphoser en personne disgracieuse. Sa dégradation physique, marquée d’idées négatives de manière quotidienne, atteignit le summum de la laideur. Si honteuse de sa monstruosité, elle ne sortait jamais sans un foulard sur la tête, ramené sur le visage pour mieux le dissimuler lorsqu’elle devait saluer quelque connaissance. La perfection de son apparence esthétique n’entrait pas dans la catégorie de ses priorités mais son miroir arrivait à l’alarmer et la mortifiait quand par hasard, ou par contrainte, elle passait à ses côtés :
– La plus laide est… disait le miroir dès qu’elle s’en approchait.
– Non tais-toi affreux miroir, je ne veux pas le savoir… implorait Blanche Neige.
– Désolée, Blanche Neige, je suis programmé pour établir un ordre dans la beauté ou la laideur. Et à cette heure, je dois t’informer que tu n’es pas la plus laide, Blanche Neige. La vieille rebouteuse qui habite dans la grotte du Clair-Obscur est aujourd’hui la plus hideuse créature du royaume.  »
Ces phrases lui laissaient un goût amer à la pensée que l’origine du visage de l’horreur qu’elle exhibait, malgré elle, était une volonté paternelle.
Le chagrin a certes, usé sa beauté, mais la cruauté de son père avait aussi accéléré le processus : celui-ci, si obsédé d’exécuter les vœux de feue son épouse a établi un ignoble stratagème. Il avait dû ruser pour parvenir à son but en utilisant la crédulité d’une pauvre servante. Fraîchement embauchée, personne n’avait eu le temps d’avertir de la dangerosité potentielle du vieil homme qu’elle n’a pas soupçonnée :
– Marie, lui avait-il dit, feignant une confidence assortie d’un sourire angélique, cette potion, fruit d’une recette secrète transmise de génération en génération garantit jeunesse et pureté.
La servante, docile, saisit alors un petit flacon rose en verre soufflé. Le vieil homme poursuit :
– Si vous avez la gentillesse de le remettre à la fille, pour qu’elle conserve sa beauté légendaire, je réserve une fiole à votre attention. Pour ce faire, subtilisez le sérum magique à la crème hydratante que ma chère fille utilise quotidiennement. Attention, prévient le perfide : pour garantir le résultat escompté, la personne qui l’utilise doit en ignorer ses vertus, donc faite en sorte de lui en faire la surprise. Vous la mettrez dans une joie sans pareil quand elle apprendra votre initiative. »
Marie séduite par les propriétés prodigieuse de cette crème était disposée à s’exécuter. Consciencieuse, elle échangea le soir même les deux flacons à l’insu de Blanche Neige. Les joues rosies sous l’émotion de son geste preste et du succès de l’opération délicate, elle alla se coucher satisfaite de la joie initiée par ses soins et sera révélée le lendemain matin à sa maitresse. Elle se réjouissait déjà de la récompense promise car nubile mais sans prétendant en vue, elle rêvait de préserver sa fraicheur. Elle se promettait de réfléchir plus tard à cet avertissement : « pour garantir le résultat escompté, la personne qui l’utilise doit en ignorer ses vertus ».
Le lendemain matin, elle attendait impatiente derrière la porte de la salle d’eau, pour pouvoir enfin révéler la jolie surprise à Blanche Neige qui sans aucun doute saurait la remercier à la hauteur de sa prouesse : remettre à son insu un antidote à la vieillesse. Mais Marie sursauta au cri strident derrière la porte.
Glacée par ce hurlement retentissant, la servante dévouée se figea, yeux et bouche grands ouverts. Quand des pleurs mêlés à des geignements s’ensuivirent, elle ne se retint plus d’entrebâiller doucement la porte.
Troisième partie :
Adrienne la plus ancienne et respectée des servantes, alertée par le vacarme accourut au même instant dans la salle d’eau. A leur tour, les deux femmes ne purent réprimer un hurlement devant le spectacle effroyable : l’épiderme du visage de Blanche Neige, méconnaissable avait changé, disparu sous un écran de couleur rouge. Tous ses pores suintaient à flot, ils saignaient sans discontinuer sur l’ensemble de son corps et au sol. Marie et Adrienne épongeaient les gouttes, les filets de liquide avec tous les textiles qu’elles se trouvaient à portée, allant jusqu’à se servir de leur tablier et des propres vêtements qu’elles portaient. La détresse, exprimée à travers les cris et les sanglots ne laissaient pas de répit ; la pauvre femme ne cessait de pleurer, hurler ou gémir… La scène où se répandaient sans cesse des effluves de sang dura toute la journée, et une odeur typique de la substance envahissait le château. Les secours vains du médecin sollicité en catastrophe n’enrayèrent en rien une perte de sang conséquente responsable d’une dégradation physique foudroyante.Au crépuscule, Gontran que personne n’avait eu le temps de prévenir, arriva terrassé dans leurs appartements. Le couple fut confronté à la nécessité de les restaurés en intégralité, du sol au plafond. Les tapisseries séculaires, maculées de taches carmin avait au marron violacé en séchant affichaient une violente prééminence de la couleur écarlate. La profusion de cette teinte à outrance choquait tous ceux qui s’en approchaient et Blanche Neige ne fut pas épargnée de la vue du rouge tout autour d’elle s’en trouvaient traumatisée ; elle ne quittera plus ses lunettes de soleil même dans la pénombre au risque de vivre telle une malvoyante.
Quand le sang avait fini de perler, le teint laiteux mais néanmoins lumineux de Blanche Neige qui avait fait la renommée de sa beauté par-delà le royaume paternel et celui de son époux, était substitué par des croûtes disgracieuses responsables de vilaines cicatrices sur son visage dorénavant ravagé. Des crevasses irrégulières sillonnaient ses joues et son front ; des purulentes pustules colorées parsemaient les abords de son menton, de ses lèvres ; ses yeux demeurés intacts et brillants d’intelligence ne compensaient pas la laideur affichée. On aurait dit qu’elle exhibait un masque digne d’une fête d’Halloween… Sauf que pour elle, cette journée unique dans l’année se reproduisait quotidiennement… une journée sans fin.
Le résultat catastrophique provoqua le renvoi de la pauvre servante imprudente, expulsée sur-le-champ du royaume et livrée aux filets de la justice pour être punie de son acte indigne. Elle s’estimerait heureuse en échappant à la geôle à vie de justesse : une plaidoirie grandiose de son avocate, une femme hideuse sut à force d’arguments exposer la possibilité d’une vie réussie sans l’aide d’un physique facile. Les juges avaient alors suivi son raisonnement en refusant de devenir les promoteurs d’une société dont les fondations reposent sur l’esthétisme.
Suite à ce forfait, Blanche Neige devait vivre recluse en attendant de cicatriser évitant d’effrayer les enfants ou de se faire remarquer. Les seules sorties qu’elle se permettait se réduisaient à parcourir à vive allure les quelques lieues pour se rendre chez Prof. Gontran, lui, bien que mari toujours aimant commençât à perdre patience du sort qui s’acharnait sur sa femme, et sa présence au château devenait rare puis bientôt exceptionnelle. Voir sa femme dans cet état de déchéance était au-delà de ses forces.
Quatrième partie et fin :
Les rapports sociaux de Blanche Neige se limitaient à un noyau composé de quelques rares personnes. Oublié le faste flamboyant de naguère durant tout le début de sa vie conjugale, sa vie sociale reposait sur l’unique solide amitié fraternelle qui liait le couple aux nains.
La réussite professionnelle de Gontran avec sa société de construction immobilière et d’urbanisme les avait même tous rapprochés au cours de ces vingt années.
Joyeux et Grincheux ont été les premiers à rejoindre son équipe et collaborer. La bonhomie de l’un compensait le mauvais caractère de l’autre mais leur implication sur les chantiers était sans pareil. Le charisme de Joyeux appuyé du carnet d’adresse et de relations de Gontran dans le royaume a permis de développer l’affaire à tel point que sa réputation de travail sérieux avait supplanté la renommée de sa femme de par sa beauté transfigurée ou de son tragique destin.
Simplet, moins à l’aise dans la participation de nouvelles entreprises, demanda plus de temps pour intégrer l’équipe mais ne le regretta pas longtemps : un poste lui a été réservé. Il assistait le responsable des achats pour s’assurer de la conformité du matériel reçu. Les quelques erreurs anodines de ses débuts vite oubliées, Gontran avait une totale confiance en lui.
Leur frère Timide eut plus de mal se situer professionnellement car il hésitait et tergiversait sur le choix de son activité adéquate où s’épanouir. Il n’avait plus goût à travailler la pierre de taille, malgré une compétence experte en la matière et sa côte en hausse pour les demeures de standing. Après s’être noyé dans les affres de la plomberie, il a essuyé un échec dans le domaine la peinture, puis il s’est cassé les dents sur la maçonnerie. À l’heure de la fibre optique, il a envisagé de s’y consacrer convaincu par Dormeur de le suivre dans ce nouveau projet.
Chez Prof, Blanche Neige se remémorait son passé avec les nains :
– Si seulement Atchoum pouvait être là avec nous… dire que lui aussi, ce petit être sans défense, a été victime de la cruauté de mon père !
Son ami disparu qui lui manquait toujours, surtout quand elle avait un moral en berne, et aujourd’hui encore plus que de coutume. Atchoum, le plus faible des nains avait succombé des suites d’un problème pulmonaire accentué par un trop-plein de poussière inhalée lors de sa présence sur différents chantiers. A l’époque, sans accuser ouvertement d’Adélard le père Blanche Neige, tout le monde avait soupçonné une féroce mise en scène de sa part. Il a été prouvé par la suite que le vieil homme avait soudoyé le chef d’équipe d’Atchoum imposant à ce dernier d’examiner un chantier de démolition, chantier envahi de poussière et d’amiante. La faible santé d’Atchoum le complexait et en employé scrupuleux, le nain s’était abstenu de rappeler son allergie à la poussière pourtant notoire. Elle aura eu raison de lui en l’emportant à jamais. Avant d’être inquiété, son supérieur a démissionné pour d’enfuir vivre une vie oisive.
Un coup fort retentissant sur la porte d’entrée de la cabane comme si on voulait la défoncer. La répétition des bruits exhorta Prof et Blanche Neige leurs pensées moroses :
– Tu attends quelqu’un ? Demanda Blanche Neige.
Bouche bée, Prof regarda la porte s’ouvrir. Un rai de lumière laissa apparaître dans la pénombre, Gontran sur le seuil. Il pénétra d’un pas assuré. Son visage radieux éclairait à lui seul la pièce et surpris de cette entrée théâtrale, Blanche Neige et Prof le regardaient sidérés. Survolté, le quadragénaire parlait avec excitation, il ne se contenait plus. Il avait abandonné la retenue polie qu’il affichait à l’ordinaire :
–   Ma mie ! Vous êtes bénie ! je savais que je vous trouverai en ce lieu et réjouissez-vous ! c’en est fini de votre malheur. A l’invitation de votre oncle, le frère de votre père, désigné pour exécuter sa succession, je reviens tout juste de votre château familial. LUI, va en hériter mais…
– Je me doutais bien que je n’aurai rien ! dit-elle en haussant les épaules. Quelle importance a cette information Gontran ?
Blanche tapait du bout de ses doigts la table…
– Votre oncle m’a fait mander pour l’aider à débarrasser le palais qui n’en est plus un d’ailleurs : rien à regretter de ce côté-là. Je ne vous avais pas informée de cette démarche pour vous épargner, mais à cet instant je ne peux pas garder pour moi ce que je sais. En fouillant les coffres remisés dans les décombres nous avons dû trier les papiers entassés, les grimoires, et autres archives poussiéreuses. Et là, quelles découvertes ma mie : des formules magiques !
– Et ? Blanche Neige résignée au malheur ne parvenait pas à prendre part à l’excitation de son époux.
– Elle possèdent le pouvoir de remettre en l’état les effets des sortilèges qui vous ont été jetés.
Sceptique, Blanche ne voulait pas subir les désillusions de faux espoirs :
–  Mais comment savez-vous que cela annulera les maléfices de mon père et ma marâtre ?
Derechef, Gontran s’approcha du lampadaire le plus lumineux, et déplie un parchemin enroulé sorti de la poche de son caban :
– « Ecoutez : « Formule pour annuler la recette de la crème à enlaidir magique ». Il y a plusieurs dates apposées au crayon à côté et la dernière est celle où vous avez reçu ce flac…
– Tais-toi !
Le tutoiement traduisait l’état excédé de Blanche Neige écœurée à la mémoire de ses souffrances. Gontran, poursuit :
– Les apothicaires du royaume s’attèlent en ce moment même à décrypter les formules. Dans leur laboratoire, ils étudient les dosages et autres paramètres. Ils réunissent les ingrédients pour concocter les remèdes et vous les administrez dès que ce sera prêt.
Les jours suivants furent vécus avec une tension survoltée. L’ambiance avait retrouvé le charme suggéré par un avenir plus propice et malgré la torture morale de l’attente, le couple et tous leurs proches espérait. La confiance en la providence revenait d’heure en heure et l’harmonie au foyer ressemblait à celle du début de leur idylle. Ils trompaient leur impatience en se divertissant le mieux possible. Gontran rompait avec son habitude de sortir le soir jusqu’à point d’heure pour rester auprès de son épouse, prêt à toute éventualité. Blanche Neige s’ébaudissait de sa propre sérénité, elle se décontractait enfin de se savoir en sécurité sans personne qui lui veuille du mal.
Le foyer sous l’impulsion des nains s’emplissait d’une humeur et d’une ambiance à l’air de fête : tout le monde avait tellement langui de savourer ce moment ! L’épouse si souvent délaissée avait recouvré son sourire ; ce sourire si exceptionnel à l’épreuve des derniers lustres travestissait maintenant la laideur en grâce. Mais chacun restait sur le qui-vive de la mélancolie envolée chez de Blanche Neige ; on scrutait la moindre trace d’inquiétude, de souci ou de nervosité qui ressurgirait.
Et pendant ces quelques jours, les chimistes du royaume travaillaient sans vergogne sur ladite formule.
Le cinquième jour, le coordinateur de l’équipe en charge de réparer le maléfice lancé fit son apparition au château sans prévenir. Sûr de lui et sans ménagement, il intima Blanche Neige d’avaler la potion contenue dans le tube à essai :
– Je reviens demain pour constater le miracle que j’attends. Passer une journée sans ombrage de crainte et à votre réveil, vote vie sera transformée.
Les rêves de la nuit furent encombrés de cauchemars dans la chambre de Blanche Neige. Elle préférait dormir seule, pour se confronter seule à son miroir au petit matin. Au lever du soleil, le château baignait dans un profond silence. Les six nains et Gontran guettaient nerveusement le verdict du réveil de Blanche Neige. Derrière la porte, un cri les terrorisa et Gontran poussa la porte avec fracas. Il foula un tissu au sol et le dos de sa femme. Paralysé de peur, muet, il ne bougeait plus quand elle se retourna.  Blanche Neige s’avança vers son mari avec le magnifique sourire de ses vingt ans.
L’assemblée intimidée de redécouvrir la femme épanouie qu’ils avaient oubliée n’en revenait pas et restait sur sa réserve, contenant leur épanchement de joie.  La famille devait rattraper vingt ans de bonheur gâché par des traitements lourds de psychotropes, et des angoisses récurrentes de malveillance potentielle.
Les enfants éloignés depuis tant de mois pour leurs propres intérêts furent allés chercher. Le plus jeune fut le plus troublé, il aimait sa maman qu’il connaissait peu et mais il découvrait sa maman jolie, méconnaissable à ses yeux. Elle resplendissait.
Dans un élan d’enthousiasme et bienveillance souveraine, le prince Gontran décida de proclamer cette journée « fériée » pour les années à venir.

 

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AnneC

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