Chroniques régulières sur des livres, présentations de nouveaux auteurs

💜💜💜 LA DARONNE d’Hannelore Cayre

RESUME

Points
13/2/2020
192 p.
Patience, aime se faire appeler « veuve Portefeux » pour évincer les dragueurs lourdingues. Cette originale cinquantenaire au caractère bien trempé raconte ici son histoire. Sa débrouillardise naturelle s’explique par une éducation atypique de parents juifs pieds-noirs Tunisiens assortie d’une fine observation des magouilles de son père.
À la mort brutale de son regretté mari, elle a pu s’en sortir grâce à ses ressources intellectuelles, notamment la maîtrise parfaite de l’arabe, bien au-dessus de celle du quidam moyen. Elle l’a acquise durant son enfance auprès de Bouchka dont je me retiens de vous rapporter cet épisode épique (à découvrir P.114 et suiv.). Cet atout, associé à la franche et la « respectable » consonance de son patronyme, lui a permis de devenir traductrice judiciaire. Ainsi, la police la sollicite lors des gardes à vue ou d’écoutes téléphoniques pour décrypter le langange argot-arabo-français des trafiquants suspectés. Or, l’expérience en traduction a familiarisé Patience avec la pratique des dealers, leurs codes et leurs manies. Et, à force d’assiduité, elle obtient la prérogative de travailler à domicile, même si son statut reste précaire. 
Or, Patience doit financer l’Epadh de sa mère, qu’elle visite chaque jour par devoir de conscience face à la décrépitude de sa mère. Là, elle assiste aux délires tristement cocasses de Madame Léger une résidente de l’Epdh, et sympathise avec Khadidja l’aide-soignante en charge de sa maman. Et indirectement, ces rencontres vont bouleverser sa vie : 
En traduisant une affaire relative à la famille Benabdelaziz à propos de trafic de drogue, Patience va faire le lien avec le fils de Khadidja. Menacé d’une arrestation imminente, Patience contre toute déontologie, va interférer en « bidouillant » sa traduction, et conseille au jeune caïd d’abandonner sa marchandise. Sous l’emprise d’une tentation d’un gain conséquent, elle va devenir « la Daronne ». Sa carrière de dealeuse commence, mais avec difficulté puisque son petit ami travaille à la brigade des stup…

MON AVIS

En premier lieu, je remercie une très fidèle et chère lectrice du blog Estelle P. pour cette suggestion de lecture.

Les antécédents de l’auteur H. Cayre donne du crédit sur les affaires en toile de fond du récit :

Hannelore Caire, avocate pénaliste née en 1963 et vit à Paris. Elle a déjà à son actif : « commis d’office », « Toiles de maître » et « comme au cinéma ». Elle a réalisé des courts métrages et adaptation de Commis d’office est son premier long métrage.

Cet ouvrage présente toutes les qualités d’un excellent scénario de film ou téléfilm. Je suis même tentée de faire le rapprochement avec le film🎞 Paulette de (2012) avec Bernadette Lafont. Dans ces deux comédies « policières », la drogue devient le biz (business) lucratif de deux mamies qui en imposent aux racailles. L’humour de la narratrice, pointé tout au long du livre, n’affecte pas la réalisme prégnant (jusqu’à la couverture de la jaquette du livre) des situations, tant elle détaille ses stratégies et ses manœuvres tout à fait crédibles pour ses lecteurs.

La Daronne (en argot = la mère), optimiste et drôlesse nous distrait en toutes circonstances. Dès le prime abord, avec humilité elle use de l’autodérision sur son physique (P. 18 ) :

J’ai un physique robuste avec cinq kilos de trop pour en avoir pris trente à chacune de mes deux grossesses, laissant partir en roue libre ma passion pour les gros gâteaux colorés, les pâtes de fruits et les glaces.

Son passé familial foisonne d’anecdotes croustillantes, assaisonné du cocktail épicé de son environnement d’enfance : un père pied-noir, une mère juive qui parle yidish et Bouchta. Elle dépeint avec la même ironie sa propre famille, son mari aimant et ses filles studieuses (P. 25) qui s’en sont bien sorties :

Mes deux savantes de filles sont à présent des ouvrières du tertiaire.  … Disons qu’il s’agit de ses boulots à la con où l’on s’étiole devant un écran d’ordinateur pour fabriquer des trucs qui n’existent pas vraiment et qui n’apporte aucune valeur ajoutée au monde.

On ne peut que sourire de son petit ami Philippe parvenu à la séduire malgré ses deux principaux défauts, selon la Daronne : sa probité et croire en Dieu  (P.97)

Le désir de Philippe pour moi a emporté le morceau : un désir fort et sincère qui brillait dans ses yeux lorsqu’il regardait et qui aurait emballé n’importe quel être ménopausée.…

Mais la Daronne ne montre jamais de méchanceté, même si elle n’éprouve aucune estime pour les dealers qu’elle écoutent, et rencontrent. Elle se moque avec gentillesse de leur arabe approximatif ponctué de mots français. Avec intrépidité, elle s’ingénue juste à servir ses intérêts sans nuire à personne et sans se laisser impressionner par qui que ce soit (P.123) :

 Le jeu du capitalisme, je connais, eux aussi : c’est le plus immonde qui force le respect.
Car en effet, la quête d’argent est la pierre angulaire de son enfance (P.14) :
Parce que l’argent aime l’ombre est que l’ombre il y en a à revendre sur le bord d’une autoroute.

P.38, l’utilisation de l’argent, comme moyen de se faire plaisir est intéressante. Loin des dépenses bling-bling des dealers, les siennes sont autrement plaisantes. Elle nous explique son dada comme « la petite collectionneuse de feux d’artifice » et ses autres madeleines de Proust.

Ce livre, drôle et distrayant initie le lecteur au charabia (heureusement traduit pour les néophytes, car j’ose penser qu’il y en a encore !) des petits caïds et leurs combines. Une certaine moralisation gratifie La Daronne d’une grande intelligence et d’une fantaisie assidue. Ainsi, elle dénouent leurs stratèges, les manipule, tout en grugeant les forces de polices. Sa débrouillardise inventive amuse, et son absence de scrupules s’excuse car finalement, elle n’a abusé que des malfrats.

L’écriture rapide, fluide alterne une narration dans un vocabulaire soutenu, argotier et le jargon des cités. Heureusement pour les profanes, LA daronne les traduit.

Je vous encourage la lecture de La Daronne. Merci encore à Estelle P., et suivez son exemple : Conseillez-moi !.
Les références susmentionnées correspondent au livre d’origine, réédité en format poche à la FNAC et chez DECITRE.
Merci de votre visite. N’hésitez pas à laisser un commentaire…

AnneC

Passionnée de lecture, je partage mon avis avec mes visiteurs.


Reader Comments

  1. Bonjour,
    j'avoue que j'ai adoré cette lecture pour cette humour un peu noir mais très juste de l'auteure, son écriture très fluide et incisive qui dépeint parfaitement le ressenti de ce personnage particulier qu'est Patience "veuve" Portefeux. Pour l'histoire aussi si originale et cette anti-héroïne (non ce n'est même pas un jeu de mot !!) décapante .
    J'ai pour habitude de prendre des notes de lectures sur les expressions ou les passages qui me plaisent mais exceptionnellement pour celui-ci j'ai dû renoncer car à chaque page je trouvais quelque chose d’intéressant ! Je ne pouvais pas recopier le bouquin ^^.
    Je remercie Anne-Christine pour son avis qui retrace tout à fait mon ressenti et je ne peux que vivement conseiller cette lecture jubilatoire.
    J'ai particulièrement aimé aussi le petit handicap de l'héroïne qui perçoit les couleurs comme personne et de manière jouissive au sens propre comme au figuré ! C'est ce qui lui donne cette obsession pour les feux d'artifices !
    Je vous souhaite une bonne lecture !
    Estelle

  2. Merci estelle d'avoir complèter cette chronique ; oui, décapante est, entre autre, l'adjectif approprié. a bientôt pour une prochaine chronique !

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