Chroniques régulières sur des livres, présentations de nouveaux auteurs

đź’śđź’śđź’śđź’śđź’ś POUR QUE LA MORT NE CRIE PAS VICTOIRE d’Alexis Ruset

RESUME

978-2-84859-157-5
Edition Zinedi
16/03/17
A l’aube de la Grande Guerre de 1914. Un petit homme au visage disgracieux et à la silhouette difforme, arrive dans le bourg de La Harpaille en chevauchant un bouc. L’étrangeté de la monture avec ce petit être bizarre heurte les esprits des villageois ancrés entre croyances religieuses, superstitions et paganisme. Suspicieux devant une telle monstruosité physique, ils le traitent en paria dans cette Alsace tiraillée entre la France et l’Allemagne au gré des conflits guerriers. Et même s’ils apprécient le savoir en herboristerie et les prodiges de guérisseurs du petit homme, son allure bizarre les impressionne, voire les effraie.
Face à ces hostilités affichées et attisées par les notables comme l’instituteur et le vétérinaire Désiré, le petit homme rencontrera de la bienveillance comme l’accueil chez une vieille, recluse dans sa bicoque qui fabrique du pain, compatissante de sa laideur. L’amitié que lui portera Octave, le forgeron du village fort de sa popularité et de sa musculature avantageuse lui épargnera des méchancetés car Octave, comme sa sœur Léa qui vivent avec leur père Joseph, le patriarche du village baignés dans le respect d’une charité sincère et chrétienne.
Quand l’annonce d’une guerre pronostiquée courte et facile survient, la mobilisation d’Octave l’éloigne du village et privera le petit homme de sa véritable protection. Les mauvais esprits donneront alors libre-court à toutes les infamies pour lui faire misère ; Désiré le vétérinaire est d’ailleurs le plus teigneux à se débarrasser de celui qu’il perçoit comme un dangereux concurrent de sa propre compétence.  Pour réaliser son plan machiavélique, il met en scène des complices complaisants, des comparses manipulés pour attiser l’exaspération des troupes allemandes.
Mais si le plan est presque parfait, c’était sans compter sur bien des facteurs…

MON AVIS

J’AI ADORE CE LIVRE ! UN grand merci Ă  l’auteur pour ce SP.

Difficile de le chroniquer de peur de ne pas lui rendre l’hommage : je vais éviter de le paraphraser, d’édulcorer les personnages, et de dénaturer le récit.

Difficile aussi de classer l’ouvrage dans un registre tant il offre diffĂ©rentes  facettes : histoire, romance, suspens…

Ici, la nature humaine nous est livrĂ©e ; et une certaine poĂ©sie nous dessine la faune et la flore. A titre d’exemple, je vous invite Ă  la page 40.

Le fond historique de la guerre de 1914 nous transporte dans une Alsace fracturée entre la France et l’Allemagne où dans cette bourgade rurale, l’ambiance traduit bien l’embarras ou l’ambiguïté des villageois sujets de décisions politiques supérieures.

Les scènes de batailles, le ressenti et les souffrances des poilus dans les tranchées sont dépeintes avec réalisme et poésie. P.58 :

 Les éclairs rayaient le ciel et des gerbes de flammes jaillissaient du sol, ouvrant le rideau de la nuit sur un spectacle dantesque de silhouettes tordues de douleur ou saisies par la mort, reflétées sur la neige par des ombres vacillantes et grotesques.

Mais en paralèlle de la Grande Histoire, le livre en dĂ©roule d’autres plus « intimes » ou « confuses ». Les bons sentiments font naitre aussi diverses romances, qui allège l’affaire autour du petit homme oĂą la bassesse humaine se faufile. LĂ , des manipulations psychologiques se mettent en place, et nourriront des stratagèmes de justice, Ă  la limite de la vengeance. Les rebondissements de part et d’autres se succèdent sans cesse.

Les personnages typiques nous plongent dans la vie du bourg ; avec les descriptions physiques des villageois dotĂ©s de caractères imparfaits l’auteur dresse un tableau crĂ©dible et vivant. Il n’a pas lĂ©sinĂ© sur leur nombre et les faiblesses des protagonistes, et chacun trouve un rĂ´le actif dans le scĂ©nario :

– Le couple infernal que constitue DĂ©sirĂ© :

le notables du coin vétérinaire, et adjoint au maire de Sainfoin

et sa femme Louise :

 ah, une vraie fourmi, Louise ! Mais une femme pas commode du tout et près de ses sous, qui portait la culotte, serrait les cordons de la bourse et tenait la dragée haute à son époux.

– Lucien :

un boit-sans-soif. Difficile au demeurant de distinguer chez lui l’état normal de l’ébriété, car il roulé les épaules et comme il les avait larges et bien charpentées, elle transmettait à corps une allure chaloupée.

– L’instituteur, Ă  la force mentale Ă  faible, est en proie Ă  des hallucinations. Germain le garde-ChampĂŞtre, Firmin le cantonnier, et Guerite, le plus gros fermier de la contrĂ©e.

A côté d’eux de belles personnes nous réconcilient de la nature humaine par leur pureté : La vieille, Le curé, le Sergent Georges, Gaby, Gaston… et surtout :

Octave : le maréchal-ferrand, forgeron.

Il prit spontanément la défense du petit homme, non pas tant par pitié que par refus d’une injustice, la pire qui soit, celle qu’inflige l’arbitraire de la nature et que relaie la peur haineuse des chanceux envers un malheureux non conforme à la normalité qu’ils prétendent incarner. Une double peine en somme et de plus doublement lourde, car les bien-pensants du dimanche voyaient dans sa monstruosité le signe d’une malédiction et dans ses dons, non la manifestation miraculeuse de la grâce céleste qu’il réservait aux saints patrons de leur panthéon, mais la marque de l’infernale damnation contre laquelle les mettait en garde la religion.

– Joseph son père, le patriarche inspire le respect. Et LĂ©a sa sĹ“ur est la bienveillance incarnĂ©e.

Et surtout, le principal personnage qui n’est jamais proprement nommĂ©, aucun dialogue ne lui est attribuĂ© : Le petit homme gratifiĂ© de tous les sobriquets Ă  cause de son physique ingrat. Pourtant, il n’en dĂ©veloppe aucune rancĹ“ur et sa bontĂ© reste intacte.

Il   trouvait sa place dans un milieu naturel qui prend chaque être comme il est et dans lequel il aurait aimé pouvoir et dans lequel il aurait aimé pouvoir se fondre pour toujours. »

L’intrigue autour de ce petit bonhomme est captivante. La nature ne l’a pas épargné et pourtant, il l’a dompté de ses connaissances en plantes aromatiques, … sa condition nous attendrit de pitié des injustices et de ses misères endurées.

On ne peut pas rester indifférent à cette société particulière. Un suspens règne en permanence car les protagonistes interagissent entre eux sans cesse au gré des évènements politiques.

L’écriture utilise un vocabulaire soutenu mais qui ne gêne en rien la lecture très agréable et addictive de ces quelques 215 pages.

L’insertion de patois vosgien – à petites doses- toujours traduit en bas de page se combine bien avec l’ensemble du texte, et souligne bien la culture du rĂ©gionalisme du rĂ©cit prĂ©sent Ă  d’autres Ă©gards.

Vous l’avez compris, je recommande VIVEMENT la lecture de ce roman.

Et vous, que pensez- vous de la chronique ?  N’hĂ©sitez pas Ă  laisser un commentaire…

AnneC

Passionnée de lecture, je partage mon avis avec mes visiteurs.