Chroniques régulières sur des livres, présentations de nouveaux auteurs

LA CHAMBRE D’AMI de James Lasdun

RÉSUMÉ

10/18
03/2017
250 p.
USA. Matthew et Charlie, deux cousins ont partagé une part de leur destin depuis l’adolescence, quand la solidarité familiale a pallié le désarroi de la mort d’un de leur parent respectif. Puis, devenus adultes, les jeunes hommes continuent de se fréquenter malgré des carrières aux antipodes. Matthew, cuisinier en reconversion, est dans une mauvaise passe. Quant à Charlie, sa réussite professionnelle lui permet de travailler tout l’été à Aurelia où il peut profiter de sa résidence secondaire en compagnie de son épouse Chloe. D’ailleurs, conscient de cette chance Charlie a proposé à Matthew de les rejoindre tous les deux, et de s’installer dans une dépendance spécialement dédiée.
Matthew a alors saisi l’aubaine pour ainsi sous-louer son appartement de New-York. L’accord tacite du trio repose sur un échange du gite contre la logistique des repas assurée par Matthew, le professionnel de la cuisine. L’été apparaît sous de beaux auspices, mais peu à peu, Matthew sent émousser sa complicité avec ses hôtes, où leur amitié de longue date se distend.
Mais soudain, Matthew suspecte Chloe d’entretenir une relation adultérine avec un touriste en villégiature. Alors malgré son attraction et son amitié pour Chloe, sa loyauté pour Charlie lui dicte d’éveiller son cousin sur les agissements de son épouse. Alors, comment Matthew va-t-il s’y prendre, sachant que l’ambiance se détériore encore ?

MON AVIS

Difficile de qualifier ce roman de thriller, car l’intrigue ne démarre qu’à la seconde moitié du livre malgré une tension latente dès le début.

L’ambiance initiale procure une cadre bon enfant, où l’amitié, l’été, la piscine et la gastronomie invitent parfaitement à une nonchalance agréable à laquelle s’adonnent les trois protagonistes. De plus, l’idée de l’arrangement tacite entre Charlie et son cousin (cuisine contre hébergement) justifie le farniente et la bonne conscience de Mathieu de pouvoir profiter du cadre en minimisant le fait de s’incruster. Une villégiature de sérénité va tourner au cauchemar pour Matthew quand un événement soudain se produit. Tout s’accélère… Très vite, trop vite.

En effet, très vite un décalage apparaît, et ce, dès le récit du passé des deux cousins pourtant liés par l’adversité de la vie (abandon d’un père, décès d’une mère). Les réalités de la vie vont contrarier la balance de l’équité avec une vie plus clémente pour Charlie. Son train de vie outrancièrement aisé pour son âge, et une vie conjugale apparemment épanouie contrastent avec le vécu de son cousin . À ses côtés, Matthew passe pour le malchanceux ; carrément le loser de service. C’est peut-être là le point fort de l’auteur en ne marquant aucune pointe de frustration, ni de jalousie chez ce jeune homme… en apparence.

En couple, à trois … puis à quatre

L’auteur a su jouer avec la psychologie des personnages. Il a pimenté le suspense grâce à sa maîtrise des interactions entre chacun.

Le chiffre trois est souvent scabreux, et ici en amitié-amour ça l’est tout autant, car Matthew nourrit une certaine flamme, une amitié équivoque avec Chloé. Décidément, les deux cousins sont souvent sur la même longueur d’onde, mais en compétition avec des non-dits. Cette mise en scène suggère les prémices d’une relation alambiquée, voire malsaine entre Chloe et Matthew. Et quand surgit dans le scénario un quatrième homme, un potentiel amoureux supplémentaire, le suspense commence à devenir passionnant.

La deuxième partie va, selon moi, impulser une intrigue trop longue à s’installer. Puis enfin, tout s’accélère soudain et le rythme devient plus cadencé. Les actions des uns et des autres s’enchainent rapidement. Le flegme ambiant fait place à de l’animation, des mouvements géographiques,  et des attitudes moins franches. Le lecteur dévoile la personnalité réelle de tous, il devient spectateur attendri des déconvenues de Matthew attendri. Dévoué et gentil, celui-ci sait se rendre serviable faisant même abstraction de ses propres envies. Comme on tient à ce qu’il réussisse dans son entreprise, quelle qu’elle soit. Bientôt victime (sans divalgâcher) d’un secret lourd à porter, puis de deux secrets, notre héro retient l’attention du lecteur soucieux de son devenir.

Par contre, il est aux antipodes de la nature hypocrite de Chloe qui suscite surtout beaucoup d’amertume compréhensible. Le genre de personne difficile à détester car on ne peut rien lui reprocher en apparence. Mais, qui une fois son véritable jeu démasqué, inspire encore plus d’antipathie à cause de la manipulation qu’elle exerce.

MON REGRET

La fin aurait mérité d’être délayé avec un dénouement bâclé, qui arrive comme un cheveu dans la soupe. Ce goût de « précipité » est encore moins digeste quand on pense au démarrage poussif.

Les références à l’économie de marché et la redistribution de la finance et sur l’économie nouvelle, pour justifier de la rédaction de l’essai par Charlie m’a semblé prodigieusement rébarbatif et sans intérêt. Sûrement pour faire dans « l’air du temps ».

CITATIONS

P. 52. Telle était Chloé, pleine de petites surprises : Tiroirs et recoins cachés, plages secrètes et oubliettes où se nichait la musique, les messes du dimanche ou un jardin rempli de papillons. 
Page 97 :  « Disons que l’argent est le seul sujet que les gens célèbres n’abordent pas dans leurs mémoires. Leur argent à eux, j’entends. Ils sont prêts à tout avouer dans des domaines longtemps considérés comme tabous — penchants pour certaines pratiques sexuelles, drogue, petite délinquance — prêts même à s’en vanter, en fait. Mais ils ne parlent pas de leur argent, et nous n’attendons pas d’eux qu’ils le fassent. C’est l’unique sujet qui tombe encore sur les coups d’un interdit. Sans doute parce que contrairement au sexe et à la drogue, il est inexplicablement lié à la seule source de culpabilité et de honte qui mérite d’être prise en compte, à savoir le sentiment d’avoir volé le travail d’un autre — de l’avoir escroqué de son activité physique et mentale. […]