Chroniques réguliÚres sur des livres, et faire connaßtre de nouveaux auteurs

💙💙💙ERNESTINE OU LA JUSTICE d’Emmanuel Pierrat

RÉSUMÉ   

Ed°les Escales
10/11/2021
246 p.
Paris. À la veille de la Premiùre Guerre mondiale.
Le pĂšre d’Ernestine Godiveau rĂ©serve Ă  sa fille un avenir respectable de femme au foyer digne de leur milieu bourgeois. Dans cette conception traditionnelle de la famille, le rĂŽle de la femme se cantonne Ă  s’occuper du foyer et des enfants.
À l’encontre des principes Ă©ducatifs qu’elle a reçus, Ernestine rĂȘve de travailler pour s’assurer une vie indĂ©pendante sans l’égide d’un mari. Elle ambitionne notamment d’étudier le droit pour viser le mĂ©tier d’avocate. Mais pour cela, elle doit pactiser avec son pĂšre qui accepte son inscription Ă  la FacultĂ© en Ă©change d’un bon mariage avec EugĂšne. Optimiste, en attendant une intervention bĂ©nĂ©fique du destin, elle supporte ce fiancĂ© pendant qu’elle entretient secrĂštement une relation amoureuse avec Rodolphe. Ce jeune libraire partage avec elle son goĂ»t pour les Ă©crits et la politique.
Pour finaliser sa quĂȘte de libertĂ© et d’indĂ©pendance, Ernestine embrasse alors sa carriĂšre d’avocate grĂące Ă  la confiance de maĂźtre GĂ©raud, rencontrĂ© par l’entremise de Rodolphe. LĂ , l’apprentissage de la jeune fille dĂ©bute avec la prĂ©paration de la dĂ©fense de Raoul Villain. Quelle dĂ©licate affaire pour elle, que celle de devoir assister l’assassin de JaurĂšs, un homme qu’elle et Rodolphe adulent ! Un difficile exercice de conscience pour expĂ©rimenter la profession.

MON AVIS

Ce roman historique aborde, par le biais d’une jeune femme, le dĂ©roulement de la Grande Guerre dĂ©clarĂ©e le lendemain de l’assassinat de Jean JaurĂšs. Cette mort a-t-elle prĂ©cipitĂ© la guerre ? Le positionnement de ce pacifiste a-t-il Ă©chauffĂ© l’esprit d’un « dĂ©rangé » ou d’un activiste politique ? Pourtant enclin Ă  se battre par bon nombre de citoyens, le pays va devoir s’adapter face Ă  l’enlisement de cette guerre trop longue. Le regard politique et la mentalitĂ© anti-conventionnelle d’Ernestine expliquent le bouleversement qui va se produire dans la France durant la guerre. Et cette Ă©volution passe par un changement du rĂŽle des femmes. Jusque lĂ , elles se montraient soumises sous un joug protecteur des hommes. L’adversitĂ© de la guerre a rĂ©vĂ©lĂ© des travailleuses dĂ©gourdies et capables de supplĂ©er avec efficacitĂ© des hommes partis en guerre.

une avocate en 1914

La condition de la femme au dĂ©but du XXe siĂšcle est dĂ©peinte par l’entremise de notre hĂ©roĂŻne. Les auteurs illustrent bien la place de la femme dans la sociĂ©tĂ© apparentĂ©e Ă  celle d’un mineur. DĂ©pourvues de droits, toutes les femmes, filles cĂ©libataires ou mariĂ©es se contentent de se taire et de se soumettre. La jeune fille passe de l’autoritĂ© du pĂšre Ă  celle de son mari.

Ernestine reprĂ©sente une jeune fille subversive pour l’époque avec ses idĂ©es d’émancipation. Vouloir travailler pour acquĂ©rir une autonomie financiĂšre, et une indĂ©pendance est totalement contraire aux idĂ©aux de sa classe sociale.

AprĂšs une loi votĂ©e par PoincarĂ© et Viadini accordant le droit aux femmes de devenir avocate, le parcours d’Ernestine évoque celui de celles qui l’ont prĂ©cĂ©dĂ©e, ou qui l’ont inspirĂ©e, comme Jeanne Chauvin qui est la premiĂšre femme en France Ă  avoir plaidĂ©.

 Le personnage d’Ernestine prĂ©sente une femme hors norme prĂȘte Ă  contrecarrer les plans de son pĂšre, l’incarnation de rĂ©actionnaire. Pour garantir plus de crĂ©dibilitĂ© au roman, la jeune fille use de mĂ©thodologie, de psychologie ou d’hypocrisie pour obtenir son Ă©mancipation de son pĂšre. Elle a l’intelligence d’éviter les discussions frontales avec lui, car elle en connaĂźt l’issue, devinant ses convictions irrĂ©versibles et l’attitude complaisante de sa mĂšre.

Assassinat de Jaurùs : Crime politique ou de droit commun ?

La prĂ©paration de la dĂ©fense de l’assassin de JaurĂšs, Raoul Villain, est confiĂ©e Ă  Ernestine. De lĂ , elle va Ă©tudier tout ce qui est relatif Ă  ton passĂ©, de son environnement familial Ă  sa vie d’étudiante dĂ©cousue. On note qu’aucune influence avec des groupuscules politiques ne l’aurait poussĂ© Ă  commettre le crime par idĂ©alisme. Non, le jeune homme mĂ©diocre a agi seul et avec prĂ©mĂ©ditation Ă  la lecture des pressions mĂ©diatiques.

On assiste au procĂšs de l’intĂ©rieur oĂč l’évolution de la guerre peut marquer la sĂ©vĂ©ritĂ© d’un jury pour le verdict. Ainsi, des reports de procĂšs se sont succĂ©dĂ©s pendant plusieurs annĂ©es. Sans clĂ©mence, Ernestine va peaufiner sa dĂ©fense sans Ă©prouver la moindre estime pour Raoul Villain. Heureusement, sa victoire professionnelle compense sa tristesse morale autour d’un verdict qui la sidĂšre.

la guerre de 14

Loin des tranchĂ©es et des combats sanglants, Ernestine observe la guerre de Paris. Et le conflit va la dĂ©barrasser d’un fiancĂ© encombrant tandis qu’elle vit sa romance avec Rodolphe.

Par ailleurs, le roman relate l’ensemble des publications Ă  propos de l’entrĂ©e ou non de la France dans le conflit. En effet, d’une part le pacifiste JaurĂšs, un socialiste convaincu par la solidaritĂ© internationale milite pour Ă©viter une guerre sanglante. d’autre part, certains revanchards y voient enfin une opportunitĂ© pour rĂ©cupĂ©rer des territoires perdus. Mais les Ă©vĂ©nements politiques intĂ©rieurs et Ă©trangers vont conduire le pays dans une guerre.

Une romance sur un fond historique et d’une recherche trĂšs renseignĂ©e.

Remerciements aux éditions les escales et le site internet Netgalley. #ErnestineoulaJustice #NetGalleyFrance

LES PLUS

Qui est 👉🧐 Jeanne Chauvin ? Qui est 👉🧐 Gaston Calmette ? Qui est 👉🧐 Henriette Caillaux ?

p. 229 : La guerre, non jamais, cela ne sert Ă  rien, une machine Ă  tuer, rien de plus
 Mais le combat, c’est autre chose, il ne cesse jamais. Le combat pour la libertĂ©, le respect de l’homme, de sa dignité  Au moins JaurĂšs n’est-il pas mort pour rien, il reste cela de lui, une foi en l’espĂ©rance humaine, la certitude que nous sommes tous capables du meilleur comme du pire ; c’est une question de choix et de volonté 
p. 230  : 1938 ⌈…] Cette annĂ©e avait pourtant bien commencĂ©, avec le vote en fĂ©vrier de la loi instituant la fin de l’incapacitĂ© des femmes mariĂ©es. Elles n’étaient plus considĂ©rĂ©es par les textes comme incapables civiles. La lutte fut rude ; je m’y Ă©tais investie corps et Ăąme. AprĂšs plus d’un siĂšcle de subordination au mari, les femmes gagnaient enfin quelques libertĂ©s. Elles peuvent dĂ©sormais, sans l’autorisation du mari, possĂ©der une carte d’identitĂ© et un passeport, ouvrir un compte en banque, s’inscrire en facultĂ©, passer un contrat pour leurs biens propres, accepter une donation, sĂ©journer dans un hĂŽpital ou une clinique sans ĂȘtre accusĂ©e d’abandon de domicile. Et surtout, elles ne doivent plus obĂ©issance Ă  leur Ă©poux. Mais il reste encore du chemin Ă  parcourir, car le mari reste le chef de famille qui peut fixer le lieu de rĂ©sidence, exerce l’autoritĂ© paternelle et peut s’opposer Ă  ce que l’épouse exerce une profession.