Chroniques réguliÚres sur des livres, présentations de nouveaux auteurs

💙💙💙 NOUS ETIONS LES MULVANEY de Joyce Carol Oates

QuatriĂšme de couverture

Stock
2009
580 p.
A Mont-Ephraim, petite ville de l’Etat de New York, tout le monde connaĂźt les Mulvaney, leur bonheur et leur rĂ©ussite.
Michael, le pĂšre, d’origine modeste, a su Ă  force de travail se faire accepter par la bonne sociĂ©tĂ© de la ville. GrĂące Ă  sa femme qu’il adore, la ferme qu’ils habitent est un coin de paradis, une maison de contes de fĂ©es oĂč, au milieu d’une nature splendide, entourĂ©s de chiens, de chats, d’oiseaux, de chevaux – et immensĂ©ment d’amour -, leurs trois fils et leur fille Marianne vivent une enfance inoubliable.
Jusqu’au drame de la Saint-Valentin 1976, qui vient mettre un terme Ă  cette existence idyllique, fait voler la famille en Ă©clats et marque Ă  jamais chacun de ses membres.

MON AVIS

USA dans les années soixante-dix.

Du rĂȘve amĂ©ricain
 Ă  la dĂ©chĂ©ance sociale

Nous voici au cƓur du rĂȘve amĂ©ricain avec Michael Mulvaney, Ă  l’image du self-made-man, reprĂ©sente celui qui parti de presque rien, a construit une rĂ©ussite entrepreneuriale lui permettant d’intĂ©grer le club des notables locaux. Dans un cadre rural et chaleureux entourĂ© d’animaux domestiques, lui et sa femme Corinne, une chrĂ©tienne vertueuse, ont fondĂ© une famille composĂ©e de quatre enfants oĂč chacun Ă©volue au rythme de sa personnalitĂ©. Mais une soirĂ©e de Saint-Valentin Ă©branlera insidieusement la structure familiale. DĂšs lors la lĂ©gĂšretĂ© du genre « La petite maison dans la prairie » glisse vers la dĂ©chĂ©ance du pĂšre de famille qui entraine dans sa tourmente l’unitĂ© familiale. Incapable d’assumer l’adversitĂ© et la protection de sa famille, quand le pilier tombe, la maison s’écroule.

UNE CHRONIQUE SOCIALE / VICTIMOLOGIE

Le roman Ă©crit dans les annĂ©es 90 dĂ©montre Ă  travers le vĂ©cu d’une famille d’une quinzaine d’annĂ©es comment des tabous sociaux provoquent des consĂ©quences sociales et psychologiques. Ici, des infractions commises condamnĂ©es par la loi reste impunis par la sociĂ©tĂ©, alors l’hypocrisie sociale et judiciaire agresse une seconde fois les victimes, notamment les femmes violĂ©es.

La logique narrative est Ă©laborĂ©e par le benjamin de la fratrie, Judd, le dernier Ă  avoir pu quitter le nid familial. Ce rĂŽle d’observation a dĂ©veloppĂ© en lui sa vocation journalistique. Spectateur malgrĂ© lui, il constatera avec amertume la dĂ©chĂ©ance et le dĂ©litement des liens familiaux. Et tout en entretenant sa neutralitĂ©, il dĂ©sapprouve la lĂąchetĂ© de ses parents vis-Ă -vis de sa sƓur Marianne. Ils ont eux-mĂȘmes puni une seconde fois cette victime de viol en la bannissant de leur foyer.

Évolution des mƓurs : ce qui est acceptĂ© Ă  une Ă©poque peut choquer Ă  une autre. Dans le monde rural et puritain, dans les annĂ©es 70, le sexe est tabou, alors quand un viol est commis, la discrĂ©tion s’impose autant que la considĂ©ration de la victime. Comment ne pas comparer l’époque avec l’actuel lynchage public d’agresseurs restĂ©s impunis.

UNE FAMILLE MODÈLE vers la descente aux enfers.

Le viol a provoquĂ© un malaise pourtant on ne nomme pas cette agression afin de rendre abstraite la rĂ©alitĂ©. Et pourtant sa survenance bouleversera Ă  tout jamais l’univers des Mulvaney oĂč Marianne se retrouve sans appui parental. On eĂ»t dit que l’unique fille de la fratrie unifiait l’entitĂ© familiale de sa seule prĂ©sence aimante et sans histoire. Alors la violence de son « exil » laisse  pronostiquer l’étiolement de l’insouciance du roman.

UN PÈRE DÉFAILLANT

La colĂšre stĂ©rile du pĂšre pitoyable devant son impuissance Ă  lui rendre justice s’assortit bien Ă  l’attitude complaisance de son Ă©pouse. Leur comportement sordide va nourrir la rancƓur de frĂšres de Marianne Ă  vouloir la venger. Ils fuient. L’ainĂ© s’engagera comme Marine et Patrick, le cadet partira poursuivre ses Ă©tudes universitaires ailleurs, sans retour. Seul, Judd, le benjamin assiste Ă  la dĂ©crĂ©pitude morale de son pĂšre devenu persona non grata dans le village.

LE DENI DU VIOL

Marianne est presque condamnĂ©e pour ce qu’elle reprĂ©sentait : une sĂ©duisante fille populaire qui plaisait aux garçons. Et en plus de la violence de son agression, s’ajoute le dĂ©ni de la reconnaissance de l’acte par la sociĂ©tĂ©. Sa souffrance psychologique va se trouver Ă  son apogĂ©e Ă  se considĂ©rer comme une paria de la famille.

La panoplie de personnages ne m’a pas trop convaincue, trop beau pour ĂȘtre vrai, mais un roman offre cette possibilitĂ©, n’est-ce pas ? Sans divulgĂącher, Marianne, tant mieux pour elle, sort la tĂȘte haute de tous ses dĂ©boires. Et mĂȘme on a dĂ» mal Ă  estime Corinne (la mĂšre) on se rĂ©jouit de sa rĂ©silience. Un happy-end un peu poussif.

CITATIONS 

p. 398
On dit que le benjamin de famille n’a pas un souvenir trĂšs net de lui-mĂȘme parce qu’il a appris Ă  se reposer sur le souvenir des autres, qui sont plus ĂągĂ©s et qui dĂ©tiennent donc l’autoritĂ©. Quand ses souvenirs diffĂšrent des leurs, il leur accordent peu de valeur. Ce qu’il prend pour sa mĂ©moire serait plutĂŽt un bric-Ă -brac des souvenirs d’autrui, leurs tĂ©moignages entrecroisĂ©s sur des Ă©vĂ©nements survenus aprĂšs sa naissance, mĂȘlĂ©s Ă  des Ă©vĂ©nements survenus aprĂšs sa naissance, lui compris.
p.308
Notre vie n’est pas nĂŽtre, elle appartient Ă  d’autres, Ă  nos parents. Elle est dĂ©finie par les lubies, Les caprices, les primautĂ© des autres. Cette toile gĂ©nĂ©tique, les liens du sang. C’était la plus ancienne malĂ©diction, plus ancienne que Dieu. Suis-je aimĂ© ? suis-je dĂ©sirĂ© ? Tu voudras de moi, si mes parents me rejettent ?

L’auteure (source wikipĂ©dia) :

NĂ©e le  à Lockport dans l’État de New York. À la fois poĂ©tesse, romanciĂšre, nouvelliste, dramaturge et essayiste. Elle a publiĂ© plusieurs romans policiers sous les pseudonymes Rosamond Smith et Lauren Kelly.

Elle a remportĂ© de nombreux prix pour ses Ă©crits : le National Book Award, pour son roman Eux (1969), deux O. Henry Awards, la National Humanities Medal et le Jerusalem Prize (2019). Ses romans Reflets en eau trouble (1992), Corky (1994) et Blonde (2000) et ses recueils de nouvelles La Roue de l’amour (1970) et Lovely, Dark, Deep: Stories (2014) ont chacun Ă©tĂ© finalistes pour le prix Pulitzer.