QUATRIĂME DE COUVERTURE COMPLĂTĂÂ
Grenoble, une chambre d’hĂŽtel, dĂ©cembre 2015. HĂ©lĂšne n’arrive pas Ă trouver le sommeil. Dans deux jours, elle sera appelĂ©e Ă comparaĂźtre, et des souvenirs occultĂ©s depuis trente ans resurgissent : cette nuit du 14 juillet 1984, la nuit de « l’accident », elle avait 16 ans. On l’avait retrouvĂ©e, laissĂ©e pour morte, au fond d’un ravin. Sa vie dĂ©file avec les blancs et les mensonges parlent. Alors HĂ©lĂšne Ă©critâŠ
Cette Ă©crivaine cĂ©lĂšbre et confirmĂ©e couche sur papier les tourments Ă l’aube d’un procĂšs oĂč elle va devoir tĂ©moigner. Dans ces pages manuscrites destinĂ©es Ă un jeune amant, elle se confie pour la premiĂšre fois sur un passĂ© si difficile qu’elle a depuis refoulĂ© ses sentiments. Cela lâa amenĂ©e Ă refuser tout attachement aujourd’hui, dâoĂč ce « coup » d’un soir rencontrĂ© lors d’un salon littĂ©raire Ă Briançon.
MON AVIS
Le contenu de ce livre Ă©crit en 2017 fait Ă©cho Ă lâactualitĂ©, et lâengouement social pour la victimologie notamment dans le cas des agressions sexuelles. Ă une rencontre littĂ©raire Ă ChambĂ©ry Ă laquelle participait lâauteure, jâavais fait dĂ©dicacer cet ouvrage choisi pour lâaspect « policier » du sujet. Certes, une intrigue judiciaire est le fil conducteur du roman. En fait, le rĂ©cit, dâailleurs dans un style trĂšs agrĂ©able, prĂ©texte dâune relation amoureuse furtive dâune nuit pour aborder la place des victimes et de la portĂ©e de leur plainte dans l’action en justice.
La missive Ă propos dâune courte romance sans lendemain risquait dâaugurer un pĂąle immobilisme. Et pourtant, son contenu ne manque pas de relief. En effet, la sensualitĂ© nĂ©e dâune interaction entre deux ĂȘtres va laisser place Ă un Ă©pisode douloureux et traumatisant vĂ©cu par une adolescente, mais racontĂ© avec le recul de trente annĂ©es de silence. La surprise finale proviendra dâune chute Ă un moment oĂč lâon ne sây attend pas.
En parallĂšle de cette histoire personnelle dramatique Ă lâadolescence, lâauteure nous dĂ©ploie son cursus pour parvenir Ă rĂ©aliser sa carriĂšre dâĂ©crivain reconnue. La qualitĂ© de son travail lui garantit de subvenir Ă un confort matĂ©riel apprĂ©ciable par rapport Ă dâautres. Ă lâinstar du destinataire de sa missive, beaucoup d’Ă©crivains en herbe inspirĂ©s et passionnĂ©s par le travail dâĂ©criture ne peuvent vivre des ventes de leurs ouvrages.
đ§ Pour aller plus loin đđ Une vidĂ©o de prĂ©sentation du roman par lâauteure elle-mĂȘme sur Babelio
UNE CONFESSION ORIGINALE
Vu lâactualitĂ© qui abonde en articles sur le sujet, jâavais un peu redoutĂ© le rĂ©cit dâune agression sexuelle. Et le fait de le qualifier dâ«âaccidentâ» par lâauteure offre une autre façon de dĂ©crire un viol. Son vocabulaire choisi permet dâinsister sur les dommages physiques sans mettre lâaccent sur les sĂ©quelles psychologiques comme pour les annihiler.
Lâauteure dĂ©taille les Ă©vĂšnements qui prĂ©cĂšdent cet accident de la vie et qui le suivent. Ă travers sa lettre destinĂ©e Ă un intime inconnu, elle dĂ©taille le dĂ©roulement dâun choc psychologique enfoui depuis plusieurs dĂ©cennies. Lâauteure sâest construite sans sâĂ©pancher sur sa douleur, peut-ĂȘtre pour ne plus y penser, comme un mĂ©canisme de dĂ©fense. De dĂ©fense ou dâobĂ©issance, elle s’est attachĂ©e inconsciemment Ă refouler ses peurs, ses souvenirs et sa colĂšre. Avec cette mĂ©thode elle pensait minimiser le geste de son agresseur.
LE DĂNI
LâhĂ©roĂŻne a fait fi de ses tourments depuis son accident de parcours. En vivant comme si de rien nâĂ©tait en suivant les « conseils » prodiguĂ©s, elle a poursuivi sa vie dâado aprĂšs son « accidentâ» sans sâapitoyer sur son sort. Puis, elle raconte aussi alors toutes les consĂ©quences intimes de ce drame, l’indiffĂ©rence de l’environnement familial, et son attitude dĂ©tachĂ©es dans ses relations amoureuses futures…
L’histoire de l’agression a Ă©tĂ© avortĂ© dans lâĆuf⊠en apparence. Or, dans la rĂ©alitĂ©, plusieurs Ă©tapes sâenchainent pour aboutir Ă un procĂšs oĂč lâaccusĂ©, le coupable qui enfin devra faire face et rĂ©pondre de ses propres actes. Ce livre prouve lâimportance de la reconnaissance de victime pour se reconstruire sans avoir cette impression dâexagĂ©rer les faits pour accabler le coupable.
SORTIR DE LA VICTIMISATION
La rĂ©action des oreilles attentives et la compassion surprenante choqueront le lecteur, surtout aprĂšs un tel chaos subi par notre narratrice. La passivitĂ©, ces incitations Ă se taire mĂȘlĂ©es Ă un sentiment de honte, ont finalement dĂ©couragĂ©Â la justiciable de sa volontĂ© dâune justice lĂ©gitime. Dâailleurs, sans le hasard dâune rencontre avec ce fantĂŽme en tĂȘte depuis des annĂ©es, ce statu quo perdurerait.
Or, le parcours du combattant de victimes se traduit bien ici. Ă partir dâune plainte dĂ©posĂ©e sâenclenche un procĂšs douloureux. Et ces Ă©tapes essentielles exigent beaucoup dâefforts aussi de lâentourage afin dâaboutir Ă un processus de victimisation, nĂ©cessaire pour amorcer une «âguĂ©risonâ» de la souffrance. On comprend surtout, comment la lourdeur judiciaire permet de tolĂ©rer avec fatalisme lâimpunitĂ© du coupable, acceptĂ©e par une sociĂ©tĂ© rĂ©signĂ©e.
Beaucoup de thÚmes, comme le milieu carcéral sont bien illustrés.
Mon regret
Un huis clos quasi confinĂ© dans une chambre dâhĂŽtel se passe Ă Grenoble. Or seule lâĂ©vocation de la tour Perret a retenu mon attention sur cette ville que je connais trĂšs bien. Avec plus de descriptions des lieux visitĂ©s mĂȘme le temps dâun week-end [lâancien tribunal un Ă©tĂ© inspirateur de Stendhal pour le rouge et le noir], on aurait pu qualifier le roman de rĂ©gional. Mais, peut-ĂȘtre que ces incartades locales auraient dĂ©tournĂ© la vigilance du lecteur du message Ă transmettre par lâauteur.
CITATIONS
P. 181 : Alors, prends maintenant mes baisers, garde cette envie de nous revoir et de nous aimer longtemps, ces promesses dâamour auxquelles nous avons failli, souviens-toi de la femme quâune nuit tu as aimĂ©e, imagine tous mes secrets, invente la suite de notre histoire et range-la au fond dâun tiroir [âŠ]. Il faut conserver le souvenir des belles choses, ce sont des petits riens que lâon met bout Ă bout, nos mots en longue phrase et nos peaux effleurĂ©es dans la douceur de lâaube.
123 : En une fraction de seconde, jâai tournĂ© le dos Ă cette scĂšne et mon double est parti se rĂ©fugier sur le mur aux carreaux blancs des douches du camping.
P. 124 : Sans conteste, jâai assistĂ© Ă un fait dâune grande violence, mais jâattendais simplement que ça passe, je ne me sentais pas concernĂ©e par cette jeune fille, bout de viande ballottĂ© qui hurlait sans bruit.
P. 20 : On met toujours trop de soi dans un premier roman. Câest souvent ce qui en fait le meilleur, mais sache quand mĂȘme que câest risquĂ© pour ton fond de commerce avec toutes les lectrices qui doivent dĂ©jĂ fantasmer sur tes cheveux en pagailleâŠ