Chroniques régulières sur des livres, présentations de nouveaux auteurs

đź’śđź’śđź’śđź’ś LES PROIES DU TEMPS de SĂ©bastien Fillion

RESUME

Editions le lion rouge
Ă€ une fĂŞte foraine, quatre amis, intriguĂ©s par la roulotte de Madame Nakova sont tentĂ©s par une consultation pour le fun. Alors, seul, ils rentrent un par un dans la roulotte de cette voyante atteinte de cĂ©citĂ©. Surprenantes, ses prĂ©dictions reposent sur la rĂ©vĂ©lation d’un chiffre. Boniment ou vĂ©ritable art divinatoire ?
Hugo, interroge l’aveugle extra-lucide sur son salaire de fin de carrière. Quant Ă  Baptiste, il s’amuse vĂ©rifier les capacitĂ©s de la vieille dame en s’enquĂ©rant de l’âge qu’elle lui donne, et elle voit juste. Les filles Nelly et Stella, sans se concerter, se risquent Ă  : « Combien de jours me reste-t-il Ă  vivre ? ». Après cet Ă©pisode insolite, le groupe passe une soirĂ©e paisible.
Mais le lendemain, les deux amies d’enfance abordent la consultation de la voyante. Sa réponse les contrarie mais les affole : toutes les deux ont douze jours à vivre. Alors pour enrayer le mauvais présage, Nelly et Stella décident de rompre le cours de leur vie durant leurs douze prochains jours.
Ă€ partir de lĂ , les jeunes femmes entreprennent un voyage en avion en guise de vacances et l’avion moyen de locomotion sĂ»r, leur garantira la vie. Ainsi, sans destination prĂ©dĂ©terminĂ©e, elles se laissent tenter par un tour-opĂ©rateur qui leur propose un vol jusqu’Ă  Edenia, une nouvelle Ă®le encore en chantier dans l’Atlantique. Et comme le lieu est destinĂ© Ă  la jet-set, l’idĂ©e d’appartenir Ă  la clientèle select sĂ©duit immĂ©diatement les deux filles.
Ă€ leur arrivĂ©e. Un spectacle fascinant d’une Ă®le en roche volcanique cernĂ©e d’un arc-en-ciel gĂ©ant et parĂ©e d’une nature luxuriante parasite toute idĂ©e de localisation. Le complexe hĂ´telier, surtout rempli d’hommes d’affaires, accueille Nelly et Stella. LĂ ,  Ă©bahies par le taux de change de la monnaie locale avec l’euro, elles s’offrent la plus belle suite de l’hĂ´tel. Elles veulent mettre Ă  profit ces douze jours en jouant les grandes dames, d’autant que la gente fĂ©minine se faire rare ici…
Et Nelly est comblĂ©e de bonheur quand elle aperçoit l’Italien Claudio Firmale, dit « il Principe », le cĂ©lèbre styliste qu’elle adule. Et bien dĂ©terminĂ©e Ă  saisir l’occasion, elle s’arrange avec Stella pour prĂ©senter Ă  ce maĂ®tre de la mode ses propres talents crĂ©atifs. Alors, sa carrière avortĂ©e dans le domaine de la couture renaĂ®tra. Nelly s’exĂ©cute derechef avec les moyens du bord : inspirĂ©e, elle crĂ©e sur place une collection de robes, se met Ă  coudre, assistĂ©e de son amie Stella.
De son côté, celle-ci, flâne et explore les lieux. Ainsi, elle sympathisera avec Franz, un ingénieur allemand, chef d’un département dans le Noyau, « les entrailles de l’île». Stella voit vite en lui et son ami Gerber, des intermédiaires intéressants pour rencontrer le fameux Claudio Firmale. Quelle aubaine pour atteindre le but de Nelly ! Mais avant cela, elles devront composer avec ce tartuffe de Gerber, dont la grossièreté étalée sans vergogne égale la fortune.
À partir de là, rien ne va se passer comme prévu pour les filles. Leur solvabilité s’est érodée et les entrailles asservies de l’île vont se révéler cruelles tandis que la date butoir arrive et que le compte à rebours est lancé…

MON AVIS

J’ai commencĂ© Ă  la lecture avec apprĂ©hension, car d’habitude peu encline au fantastique. Mais très vite, les personnages et la mise en scène m’ont totalement sĂ©duite. Le rĂ©alisme de la gĂ©nèse de l’histoire nous assènede plusieurs questions. Je remercie vivement 👉 l’auteur SĂ©bastien Fillion de cette dĂ©couverte par ce SP.

UNE ÎLE FANTASTIQUE

Bon public, je me suis laisser conduire dans un autre monde. Le cadre insulaire imaginĂ© par SĂ©bastien Fillion m’a Ă©voquĂ© une sĂ©rie tĂ©lĂ©visĂ©e des annĂ©es 80 👉 « l’île fantastique »  đź“ş dans laquelle les touristes dĂ©barquĂ©s de l’avions voyaient exaucer leurs souhaits les plus secrets, ou vainquaient leurs vieux dĂ©mons. Ici, l’arrivĂ©e des hĂ©roĂŻnes rappelle cette ambiance. La simple prĂ©sence de Claudio ravive la passion de Nelly pour la couture  et son rĂŞve de succès devient rĂ©alitĂ©. Stella, elle, se projette en grande journaliste avec le scoop de ce sujet dĂ©tonnant : les mystères d’Edenia.

Voici un univers fictif bien ficellĂ©, sans trop de subterfuges. Une crĂ©ation artificielle oĂą tout est possible : la localisation, un panachage de vacanciers, le paysage, les ressources d’énergie et leur exploitation. L’ensemble de ces Ă©lĂ©ments se combinent bien avec une certaine logique avec des codes Ă  respecter bien Ă©tablis. Mais, le mystère de cette construction sociĂ©tale règne en maĂ®tre : sa localisation, son absence de nationalitĂ©, sa gestion nous l’égide d’un Ă©mir (qui n’a rien de notre reprĂ©sentation classique de ce genre de personnage cf. P. 192), sa langue inconnue, son Ă©criture…

UNE INTRIGUE INSULAIRE

Du fantastique brillant de suspens jusqu’au bout où notre attention reste en alerte : Comment Nelly et Stella vont-elles sortir des rets dans lesquelles elles s’embrouillent ? Vont-elles parvenir à contrecarrer les prédictions pessimistes de la voyante ? L’idée des deux jeunes femmes d’être décisionnaires des actes de l’autre chacune leur tour, embrouille la clarté du déroulé des évènements et augmente le suspens, car on reste au cœur du sujet : « Le choix ou le libre-arbitre » de notre vie. 

L’investigation personnelle de Stella et la « RĂ©vĂ©lation » de Franz, chef du dĂ©partement gardien de secrets en avant-garde maintiennent tun rythme judicieux dans le rĂ©cit. Alors, l’extraordinaire et le mystère ainsi apprivoisĂ©s nous captivent jusqu’au bout. En plus, le passage sur les Ă©nergies, leurs productions et leur rĂ©serve, bien que dĂ©taillĂ©es Ă  la page 68 offrent une cohĂ©rence Ă©cologique –. bon, je reconnais je ne suis pas une spĂ©cialiste en la matière mais cela prĂ©sente un intĂ©rĂŞt pour la rĂ©alitĂ© probable de cette fameuse ile.

Mais cette île paradisiaque en apparence, reste soumise aux péchés capitaux : l’envie, la paresse, la cupidité, le mensonge, gourmandises, la luxure, la colère…

QUESTION EXISTENTIELLE

Ce livre agite des interrogations : l’influence des prĂ©dictions quant Ă  notre propre fin, que faire de ce que l’on nous prĂ©dit.

Et, cette dangereuse question : « Combien de jours me reste-t-il Ă  vivre ? » laisse songeur. En effet, la rĂ©ponse quelle qu’elle soit, ne peut que bouleverser : Quelles sont les probabilitĂ©s de vĂ©racitĂ© ? Si je l’admets comme vĂ©ritĂ© absolue, que ferais-je ce jour-lĂ  et en attendant ? Puis-je agir de manière Ă  changer mon destin pour en ĂŞtre maĂ®tre ? Doit-on risquer de connaĂ®tre les prĂ©sages dont on fait l’objet afin de pouvoir les dĂ©jouer ?  

Donc, indirectement, est induite une leçon : Ne pas poser de questions dont on peut craindre la réponse.

L’auteur en plus, offre une symbolique autour d’un chiffre et n’importe lequel : le chiffre 12.

« 12 jours Ă  vivre » a dit la voyante… je vous invite de vous rendre Ă  la page 162 pour obtenir la symbolique de ce nombre.

J’ai aimĂ© : Les personnages sont bien caractĂ©risĂ©s, identifiĂ©s et vifs.

🔺 Nelly, la blonde superficielle typique (veuillez excusez ma caricature) a construit sa personnalitĂ© sur son charme, consciente de l’impact de son physique avantageux. LĂ , dans ce sĂ©jour oĂą les deux femmes se rĂ©inventent, elle compte tirer profit de la situation mais sa faiblesse mentale et sa naĂŻvetĂ© la desserviront.

🔺On sent Stella plus manipulatrice. Plus forte, elle sait se protéger, user de sournoiserie avec Franz, et se défendre de la tyrannie de Gerber.

J’ai moins aimé

🌩 Le choix de l’avion pour se garantir une survie et contrecarrer une mort planifiĂ©e ne m’a pas vraiment convaincue.

🌩 La ressemblance phonĂ©tique des prĂ©noms Nelly et Stella instaurent des doutes du lecteur – moi en tout cas – amenĂ© Ă  se questionner hors contexte (la styliste ou la journaliste…?)

Vous pouvez vous le procurer ici.

Quelques citations retenues

  Crois-moi, l’amour c’est le cancer de la liberté.
Le temps n’épargne aucun de nos actes. Aussi lointains soient-ils, nos échecs et nos hontes restent à demi enterrés, jusqu’à ce qu’un beau jour une force inconsciente nous pousse à les exorciser.
A ses yeux plaire est un art, une science hautement psychologique visant à comprendre l’autre, prévoir ses réactions et anticiper ses attentes. Chaque rendez-vous est une équation à résoudre, tout devant être parfait sans donner l’impression d’avoir été trop réfléchi …
Quel bonheur d’être riche, songe-t-il, captivé par le spectacle de ces belles endormies. Et aussitôt surgissent des réminiscences d’une époque lointaine où il tentait de se faire aimer pour ce qu’il était et pas encore pour ce qu’il serait amené à posséder. 
Jamais auparavant Stella ne s’était attachée à un enfant. Pire : jamais elle n’avait partagé la tranche de vie de l’un d’eux sans considérer ce dernier autrement qu’une graine d’adulte, un être immature, non fini.
Votre continent a fait son temps. Il me fait penser à un vieillard fier qui, bouffé de l’intérieur et les entrailles à l’air, continue de distribuer ses leçons de morale, de se croire indispensable à l’avenir…
Aujourd’hui, je considère qu’il est parfois essentiel de confier les rênes de notre existence à d’autres, car suivre systématiquement la voie dictée par nos envies nous fait passer à côté d’étapes fondamentales à notre développement personnel. Céder à l’imprévu, c’est faire preuve de liberté et non de faiblesse.
Et vous, que pensez- vous de la chronique ? Avez-vous lu le livre, d’accord ou pas d’accord avec moi ? N’hĂ©sitez pas Ă  laisser un commentaire…

Reader Comments

  1. J'ai lu ce livre il y a environ deux mois ; ma mémoire est donc incertaine. Me restent quelques souvenirs et sensations que je confie aux paroles volatiles de ce sympathique site.

    Je connais l'auteur et j'avais déjà lu ces deux premiers romans. Ce qui me semble important de partager à propos de Sébastien Fillion, ce sont deux des grandes qualités qu'il possèdent : La qualité du style et la force créatrice. Certes, il y a parfois quelques facilités littéraires, des tournures attendues ou éculées mais ça ne pèse pas lourd dans la belle langue qui se déroule sous sa plume. Sa créativité se manifeste notamment dans la finesse de la structuration scénaristique. Ces trois romans respirent l'intelligence.
    Quant aux "proies du temps", si vous avez aimé ce roman, alors courez acheter les deux premiers que pour ma part, j'ai trouvés meilleurs. Il n'en reste pas moins que j'ai beaucoup aimé lire cette histoire qui oscille entre pure fiction et probabilité réaliste. Le rythme est un peu lent dans la première partie puis il s'emballe dans la seconde dans un suspense croissant et captivant.
    J'ai aimĂ© y trouver la dimension satirique de notre sociĂ©tĂ© matĂ©rialiste. Le cynisme de certains personnages reflète d'une manière Ă  peine caricaturĂ©e la rĂ©alitĂ© de notre monde. L'utopie Ă©litiste et ploutocratique d'Edenia est un pseudo-Eden qui pousse la nĂ©vrose capitalisme Ă  un paroxysme qui nie, qui conchie l'Humain et tout le règne du Vivant. Pas sĂ»r qu'on y Ă©chappe… Moi aussi, je l'ai imaginĂ©e en 2016 dans une chanson dont voici le texte :

    On m’avait dit « Petit, le monde est grand ». Pourtant…
    Si un homme averti en vaut deux ; on a le temps
    Avant qu’il soit trop tard, de se barrer dare-dare

    Ma planète est en feu, le monde est en faillite
    Ça hurle « Sauve qui peut ! », ça se bouscule en orbite
    Avant qu’il soit trop tard, quittons ce monde barbare !

    Sur Mars ou Jupiter, l’espoir renaît chez les fous
    Moi j’aimais bien la Terre, il semble que tu t’en fous

    Il y avait des jardins, il y a des bulldozers
    Dans les cocktails mondains, on snobe la misère.
    Avant qu’il soit trop tard, c’est l’orgie, l’open bar.

    Les bourgeois vendent leurs biens pour acheter leur ticket.
    Y en aura pour combien ? Y a la queue sur le quai.
    Avant qu’il soit trop tard, faut pas louper le départ.

    Sur Mars ou Jupiter, l’espoir renaît chez les fous.
    Moi j’aimais bien la Terre, il semble que tu t’en fous.

    On m’avait dit « Petit, le monde est grand ». Pourtant…
    En tant qu’homme averti, j’en vaux deux, je prends le temps
    Avant qu’il soit trop tard, je m’accroche à ma guitare.

    Ma planète est en feu, le monde est en faillite
    Je hurle « Sauve qui veut ! » Je ne prends pas la fuite.
    Parce qu’il n’est pas trop tard, je reste là. Toi, tu pars.

    Sur Mars ou Jupiter, l’espoir renaît chez les fous.
    Moi j’aimais bien la Terre, il semble que tu t’en fous.
    Sur Mars ou Jupiter, l’espoir rend fous les nantis.
    Moi j’aimais bien la Terre, mais tu t’en fous, t’es parti.

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