Chroniques régulières sur des livres, présentations de nouveaux auteurs

đź’śđź’śđź’ś BAD MAN de Dathan Auerbach

RESUME

Editions Belfond
février 2019
400 pages
On dit que, passé quarante-huit heures, les chances de retrouver une personne disparue sont quasi nulles. Deux jours pour ratisser les bois alentour, frapper à toutes les portes, remuer ciel et terre. Passé ce délai, l’espoir n’est plus permis.
Eric, trois ans, a disparu il y a cinq ans. Peu à peu, les affichettes ont jauni, les policiers se sont désintéressés de l’affaire, la vie a repris son cours dans cette petite ville désaffectée de Floride.
Pas pour Ben, le grand frère de la victime. Qui ne s’est jamais remis du drame. Qui a vu sa famille sombrer. Mais qui n’a jamais cessé ses recherches.
Recruté en tant que magasinier de nuit dans le supermarché même où Eric a disparu, Ben sent que les lieux ont quelque chose à lui révéler. Quelqu’un sait où est son frère, une personne qui prend un malin plaisir à se jouer de lui. Qui ? Le directeur qui n’a jamais collaboré à l’enquête ? Ses collègues auxquels il a accordé trop vite sa confiance ? Mais il y a plus que ça, une présence impalpable, diffuse, qui brouille ses pensées… Qui est ce bad man dont l’ombre inquiétante plane sur la ville ?

MON AVIS

Remerciements au site Netgalley pour la découverte de cet auteur talentueux édité aux éditions Belfond.

La disparition d’un enfant, thème rĂ©current des actualitĂ©s et de la littĂ©rature policière nous captive ici par l’approche particulièrement noire, drainĂ©e par la narration omnisciente sur Ben, le grand frère d’Eric disparu Ă  l’âge de 3 ans. Un lustre est passĂ©, et Ben vit avec l’obsession de cette disparition dont il se sent responsable. L’espoir encore prĂ©sent de le retrouver, il prend rĂ©gulièrement part Ă  l’enquĂŞte, en s’enquĂ©rant de son avancĂ©e.

UN ROMAN NOIR

Seul le premier chapitre inspire de la fraicheur d’une tranche de vie domestique courante. Avec une légèreté appropriée à l’occasion de courses au supermarché Éric, un enfant vif de trois ans, avec ses lubies de son âge y est trainé par nécessité par son grand frère Ben. La clôture de l’épisode est tragique : l’enfant échappe à la surveillance de Ben un peu exaspéré des caprices fantasques de son cadet. On ne reverra plus Eric. Là, commence le calvaire de Ben dans une quête folle.

Cinq ans plus tard, la suite nous happe de sa noirceur.

Dans une banlieue de la Floride du Nord (USA), la famille de Ben est embourbée dans une léthargie suite à la disparition d’ERIC. Avec un certain réalisme d’un deuil insurmontable d’une personne dont on ignore le devenir entraine la décrépitude et le traumatisme. « L’espoir fait vivre » dit-on, et pourtant ici, l’espoir de retrouver un jour Eric, détruit l’avenir de chaque membre de la famille. Chacun réagit à sa façon pour continuer malgré tout.

Ben que nous suivons du début à la fin nous submerge de sympathie : il se consume de culpabilité dans cette disparition incompréhensible et compatit sincèrement à la souffrance de son père et sa belle-mère.

BEN, UN ANTI-HEROS VOUE A ERIC

Beaucoup d’humanité émane de Ben, et pourtant rien ne le flatte. Dépourvu d’attrait, son poids l’encombre dans tous les sens du terme. Il supporte ces fardeaux moraux et physiques sans aigreur sans jamais exprimer aucune plainte malgré une souffrance lancinante et une gêne permanente dans sa mobilité.

Un manque de confiance et une personnalité effacée voire complexée accompagne un tempérament solitaire et renfermé. Mais toujours affable, l’auteur toute idée de frustration sociale ou de solitude. Voici un être d’une générosité extrême soulignée tout au long du roman.

Désorienté depuis le drame qui a frappé sa famille en désarroi total, après des recherches infertiles il dégote enfin job peu reluisant. Pour alléger les problèmes financiers de la famille il assume un ingrat travail de nuit dans le même supermarché où a disparu Eric. Contre l’avis de son père, et de sa belle-mère il analyse ce job comme source de revenus mais surtout comme une opportunité pour explorer un terrain qu’il « sent » prometteur pour une enquête encore infertile. Il ressent des « pistes » à explorer dans ce lieu, symbole de malheur dans la mémoire familiale.

UNE AMBIANCE GLAUQUE

Dès son premier jour de travail, Ben ressent des ondes « bizarres » dans le supermarché. Aux aguets dans cet antre hostile à bien des égards, des indices surprenants surgissent sans explication. Des bruits, des objets, des documents, les paroles de ses collègues ravivent sa rancœur de la disparition d’Eric, éveillent son esprit et brouillent ses souvenirs.

Pour se rendre utile, Ben s’est donné comme mission de creuser les entrailles de l’espace commercial pour découvrir la vérité. Un étrange sentiment l’envahit, et il flaire des liens cachés entre le supermarché et la disparition d’Éric.

DĂ©jĂ  d’une nature taciturne, Ben peine Ă  confier ses tourments. Seule la sympathie et l’assistance de son collègue Marty le rĂ©conforte dans sa quĂŞte. Cependant, des doutes sur lui et tous ses collègues l’assaillent et Ă©liment sa confiance. Ne lui aurait-on d’ailleurs pas cachĂ© des Ă©lĂ©ments sur l’affaire ? Un mystère bien entretenu nous dĂ©stabilise autant que Ben. La violence sous-jacente , de part et d’autre cerne Ben. Sa course folle et, ses pĂ©rĂ©grinations intrusives nous titillent de savoir ce qui est advenu Ă  Éric.

La solitude de Ben nous Ă©meut ; en plus, le lieutenant Duchaine, son principal interlocuteur compĂ©tent pour l’affaire qui lui tient Ă  cĹ“ur le dĂ©daigne… Pire, comble d’horreur, il doute de la sincĂ©ritĂ© de Ben.

Les 400 pages de suspens nous abreuvent de la force morale, du courage et de la pugnacitĂ© de Ben mais Ă  si accentuĂ©s qu’il en devient suspect. Il s’embourbe dans le jeu de la malchance et l’injustice car ses efforts patinent Ă  chaque initiative, voire se retournent contre lui. Son personnage marquera la mĂ©moire du lecteur. Un bon roman bien dense, plus de 400 pages oĂą la fin nous glace les sangs.

Mon regret : A la fin, pour ma part, des questions restées en suspens.

Vous pouvez vous procurer l’ouvrage chez votre libraire, chez DECITRE ou à la FNAC. Sorti en poche en mars 2020.


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