Chroniques régulières sur des livres, présentations de nouveaux auteurs

đź’šđź’šđź’šđź’šCE QU’ELLES DISENT de Miriam Toews

L’AUTEUR

Ed° BuchetCastel
2019
226 pages

Edité sous le titre « Women talking »

M. Toews : Auteure de plusieurs romans, et laurĂ©ate de nombreux prix littĂ©raires, elle est publiĂ©e avec cet ouvrage pour la troisième fois en France. Elle connait la communautĂ© des mennonites — et pour cause, elle y a vĂ©cu avec ses parents — une autre, moins rigoriste que celle de Manitoba–  avec ses parents avant d’en partir pour faire ses Ă©tudes.

RESUME

Canada. Entre 2005 et 2009.
Au sein d’une communauté mennonite de Bolivie, nombre de femmes attribuaient au Diable un phénomène inexplicable. En effet, à leur réveil, elles souffraient de grandes fatigues, de saignements et de traces de violences sur le corps. Alors, la seule explication tangible pour elles était la main du diable.
Cependant, une nuit, une explication plus rationnelle dissout le mystère divin. Des hommes de la communauté Molotscha ont été pris en flagrant délit d’agressions sur les femmes. Leur modus operandi : par les ouvertures de fenêtres des maisons, ils vaporisaient des gaz anesthésiants destinés au bétail. Alors « droguées », leurs victimes se trouvaient ainsi neutralisées. De ce fait, les huit (!) agresseurs s’adonnaient à toutes sortes de perversités sexuelles sur des femmes, et plus ! Ils commettaient ces agressions sans risque puisque le gaz annihilait la mémoire des personnes violentées.
Vilipendés par des maris ou des frères sous l’emprise de la colère, les agresseurs ont été arrêtés par la police pour être jugés. Une première, dans cette société séculaire, où l’autarcie est la règle. En attendant leur jugement, une poignée de femmes, des victimes courageuses, se réunissent autour d’August Epp, l’instituteur du village pour aviser de sanctions adéquates.

Faire le bon choix

En effet, sollicité par son amie d’enfance Ona Freiser, cet homme au vécu « hors-norme » doit retranscrire les échanges oraux sur des supports en papier de fortune. Mais malgré l’intimité du fenil, la pudeur est de rigueur chez ces femmes habituées à ne jamais se plaindre. Et le temps presse, car la collecte pour payer la caution des coupables promet leur retour imminent.
Voici l’alternative pour ces femmes : pardonner ou partir. Beaucoup de questions et de paramètres s’interposent à leur projet. Comment ces femmes vont-elles gérer le chaos de toute une vie prédéterminée ?
Que de questions

Religion, la désobéissance au mari, peur de perdre, l’avenir des jeunes en leur absence, sans oublier leur moyen de subsistance. 

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MON AVIS

photo extraite du « Gardian »

J’adresse mes remerciements au site Netgalley et aux éditions Buchet/chatel pour la découverte de cette auteure renommée. Avec ce témoignage d’une tragédie sociale, son récit bouleversera quiconque aujourd’hui défend la place de la femme bafouée.

On a déjà entendu parler de la société amish (illustrée par le film « Witness »), mais ici Miriam Toews nous révèle des mœurs anachroniques d’une autre communauté analogue. C’est celle encore peu renommée en Europe : les mennonites. Leurs délocalisations à travers le monde ; certains de Bolivie se sont rendus, entre autres, au Canada et notamment dans le Monnitoba. Ce roman marquera vos mémoires quand on sait que ce fait-divers contemporain serait resté sous silence si les autorités locales et officielles étaient restées hors de l’affaire. Le choix d’un narrateur comme A. EPP au parcours atypique donne du relief à la cause féministe bafouée dans cette société.

UNE VIE EN AUTARCIE

La communauté des Mennonites s’apparente à celle des amish, plus connue. Instaurée par Simon Mennon, cette société se fonde sur une « traduction à la lettre » de la Bible, et s’apparente en une secte, même si aucun « gourou » n’est clairement identifié. Dans cette interprétation, la femme est reléguée aux tâches domestiques, ou à la gestation, tandis que l’homme pourvoit au matériel.

DĂ©pourvue des moyens techniques offerts par la science, cette rĂ©alitĂ© est criante de dĂ©calage avec notre modernisme entachĂ© de dommages Ă©cologiques. Le positif : les mennonites ignorent les ravages d’une connexion Ă  outrance. Mais en mĂŞme temps, ils baignent dans l’ignorance, mĂ©connaissant l’Histoire ou l’histoire. Leur culture se cantonne Ă  celle retracĂ©e dans la Bible.

Les mennonites implantés dans divers pays du globe se limitent à leur langage originaire du nord de l’Europe appelé « plautchetsch », un dialecte bas-allemand. Ils refusent l’apprentissage de toute autre langue. De ce fait, ces communautés s’excluent elles-mêmes des pays où elles s’implantent.

L’inculture des femmes sidèrera tout lecteur, et surtout les lectrices !!! Les femmes mennonites, illettrées ne connaissent que la Bible, et de la Bible que ce qu’on leur en a rapporté. Donc, toutes, des plus crédules aux plus sceptiques, influencées par la tradition transmise depuis des générations, s’exécutent depuis leur naissance aux préceptes inculqués. Ainsi, elles supportent la souffrance morale et physique sans aucun sentiment de haine, de vengeance ou de rébellion. Elles aspirent surtout au Paradis atteint grâce au primordial Pardon.

LA PLACE DE LA FEMME PRE-ETABLIE

Une INEGALITE frappante, une injustice instituée. Ce roman s’assimile plus à un témoignage poignant. Chez les mennonites, les femmes n’y ont pas le même statut que les hommes. Leur niveau d’instruction moindre les relègue au niveau d’un objet où l’animal possède au moins une valeur marchande ou nourricière. Seule l’intelligence les en distingue. Mais se rebeller les bouleverse, alors elles se convainquent que partir reste un acte bien.

« Nous savons que notre foi sera menacĂ©e si ces agressions se poursuivaient puisqu’elles risquent de nous rendre furieuses meurtrières et incapables de pardonner. »

C’est pourquoi, la femme victime d’agression tolère, voire accepte la violence prodiguĂ©e par la gent masculine : mari, frère et mĂŞme fils qui ont pouvoir sur elles dès l’âge requis de 14 ans… Quant Ă  l’inceste, il est de mise sur les jeunes filles, sans aucune sanction. D’oĂą leur questionnement quant au devenir des jeunes garçons s’ils restent sous le joug de cette sociĂ©tĂ© patriarcale, si elles partent. Sont-ils vouĂ©s Ă  suivre l’exemple de la gĂ©nĂ©ration prĂ©cĂ©dente ?  

La prĂ©sence du narrateur, « ce fermier Ă  deux sous » prĂ©sente aussi un grand intĂ©rĂŞt avec son histoire familiale. D’avoir Ă©tĂ© exclu de la communautĂ© ouvert d’autres horizons et aujourd’hui son regard Ă©claire le choix des femmes. Son implication explique aussi leur dĂ©sarroi, Ă  elle.

LE CHEMINEMENT D’UNE LIBERATION

 Une prĂ©destination contrariĂ©e par leur propre impulsion. Le roman de M. Toews dĂ©montre la dĂ©marche psychologique et intellectuelle des femmes pour renoncer au schĂ©ma social Ă©tabli. Elles sont victimes mais avant tout, mère et Ă©pouse. Alors, cette rupture d’avec leur vie actuelle signifie pour elles de se libĂ©rer d’un joug devenu insupportable. Ce pardon impossible – pour certaines seulement(!) – est une dĂ©sobĂ©issance Ă  leur foi.

Leur dĂ©part du village vers l’inconnu rend honneur Ă  leur courage. Fuite ou dĂ©part ? Totalement illettrĂ©es, elles ignorent la langue, la culture et encore plus les mĹ“urs d’un monde Ă©tranger qui se situe Ă  juste quelques kilomètres. Elles s’orientent vers l’INCONNU.

Mais vont-elles y parvenir… ?

Un tĂ©moignage bouleversant d’une sociĂ©tĂ© mĂ©connue, sclĂ©rosĂ©e dans ses mĹ“urs. Sur des principes religieux et des modes de vie archaĂŻques, elle instaure pourtant une certaine sĂ©rĂ©nitĂ© entre ses membres. Certes, le calme règne dans le respect d’un ordre bien Ă©tabli oĂą les femmes se contentent d’une portion congrue d’humanitĂ© et de libertĂ©. Ce livre issu d’une histoire vĂ©ridique ne laissera personne indiffĂ©rent.
Vous pouvez vous procurer l’ouvrage chez votre libraire, chez DECITRE ou à la FNAC.
Votre avis sur la chronique ou le livre est le bienvenu…

Le plus

Retranscription d’une rencontre de l’auteur avec son lectorat. (extrait du site babelio)
Citation(s) pour en avoir un avant-goût
Il est possible de quitter quelque chose ou quelqu’un dans un Ă©tat d’esprit donnĂ© et d’arriver dans un autre, tout Ă  fait inattendu.
Je songe, bien qu’il s’agisse d’une disgression Ă  l’affirmation de Montaigne :
 « Rien n’est cru avec autant de tĂ©nacitĂ© que ce que nous connaissons le moins. »
Sommes-nous d’accord pour dire que nous souhaitons simplement protĂ©ger nos enfants, prĂ©server notre foi et penser ? Que nous ne sommes pas des rĂ©volutionnaires (pas plus que des animaux)?
On obtient rien par la lutte et le conflit ; on obtient tout par la compassion et l’amour.