Chroniques régulières sur des livres, présentations de nouveaux auteurs

💔💙ENFANT DE SALAUD

Résumé 

Ed. Grasset
08/2021
Lyon.
L’expression infamante « enfant de salaud » avait été utilisée un jour par le grand-père du narrateur pour le qualifier. Cette injure lui était adressée alors qu’il était enfant, en référence au rôle ambigu de son père lors de la Seconde Guerre mondiale. Né après la guerre, il en ignorait tout, mais la violence verbale exprimée cachait peut-être une vérité à découvrir ? Alors, il grandit avec cette interrogation à propos de son propre père qui lui avait tellement raconté d’histoires sur lui-même durant cette période compliquée. Les souvenirs entendus devenaient confus pour l’auteur. Or, devenu adulte, il a développé avec son métier de reporter la quête du savoir. D’ailleurs, il est missionné par son journal pour « couvrir » le procès de Klaus Barbie comme criminel de guerre. Comme le procès se déroule à Lyon, le journaliste convoque son père au sein du public pour éclairer « sa » vérité. Peut-être qu’une confrontation avec ce criminel pousserait son père à avouer s’il était un héros ou un traitre.

MON AVIS

Sa carrière comme grand reporter a conduit l’auteur à couvrir le procès du siècle d’un criminel de guerre : Klaus Barbie. Du coup, le roman porte un regard objectif sur cet épisode de notre Histoire, avec la sentence pour des crimes vieux de 40 ans. Le récit écrit en 2019 est donc contemporain, et a le mérite de nous rappeler le procès-événement de 1987. Ainsi, on comprend le choix du lieu du tribunal, on s’émeut des témoignages des rescapés qui relatent les derniers instants des victimes torturées et leurs propres sévices. L’on peut observer aussi l’attitude et la stratégie des avocats adverses (S. Karsfeld) et défendeurs (J. Vergès) et procureurs (J.-O. Viout).

Sa profession expliquant peut-être sa quête de vérité, l’auteur ou le narrateur, profite de sa visite à Lyon pour connaître le rôle de son père dans la Seconde Guerre mondiale.

Pour information, S. Chalandon avait déjà publié en 2015 un roman sur la tendance mythomane de son père à se réinventer une vie, et sa vie devient du coup carrément polymorphe, à multiples facettes 👉📖Profession du père (source Babelio)

Ici, « Enfant de salaud » tourne autour du procès de Klaus Barbie, un prétexte pour l’auteur de régler son compte encore une fois avec son père. Ce procès hors-norme est l’occasion de relier son histoire familiale à l’Histoire.

Sorj cherche à comprendre le rôle de son père durant la guerre, quand il était âgé de 19 ans. Pour mettre celui-ci face à son vécu, il lui demande de venir assister au procès du nazi, ce barbare arrogant. Sorj, l’auteur, espère que les témoignages des victimes sur leurs sévices susciteront des confidences paternelles. Cela provoquera un acharnement du fils sur le père pour savoir s’il était résistant comme il prétendait, ou un prisonnier qui a travaillé pour la STO, un milicien, ou un nombre de la division Charlemagne, et encore beaucoup de possibilités… finalement, était-il bon ou méchant, ou les deux ?

Durant son procès, d’après cet ouvrage, on devait décider du rôle actif de Klaus Barbie dans cette tragédie de la maison d’Ysieux. La première partie du livre, tel un hommage, m’a vraiment plu. Les enfants reprenaient vie sous le récit de leurs protecteurs impuissants face au joug nazi. Chaque individu, du plus jeune, à l’adulte, retrouvait sa place de héros malgré lui.

UNE GRANDE DÉCEPTION

Mais la seconde partie du roman s’attache plus au procès d’un fils pour son père. Le fils, le narrateur, s’obstine à décortiquer un passé alambiqué et attend inlassablement les confessions de son père qui nie toutes les contradictions de ses dires avec son vécu. On atteint finalement une confusion fatigante. J’ai été à la fois perdue par les digressions de l’un et de l’autre. D’ailleurs, on ne sait pas du côté de l’écrivain si l’on est dans la fiction, le témoignage, ou la psychanalyse.

En fait, le procès de Klaus Barbie éveille chez S. Chalandon indirectement un sentiment de honte et de colère pour son père, un personnage loin du prestigieux héros de la guerre. Or, ce côté moralisateur avec des interrogations rébarbatives sur un passé révolu lasse. En effet, l’acharnement presque immature du fils exaspère presque autant que l’opportunisme effronté du père.

Avec un recul de 40 ans, c’est plus facile de juger le manque de courage et les bons ou mauvais choix. D’ailleurs, qui ne s’est jamais demandé comment il aurait agi dans cette époque perturbée et complotiste ? Peut-être que la narration de S. Chalandon à l’instar d’une psychothérapie, a aidé à réparer sa vision paternelle bancale. Le rôle de sa mère n’est guère plus flatté, car elle passe pour la gentille au sens négative du terme « niaise ».

Mais ma chronique est loin des avis dithyrambiques lors de sa sortie pour la rentrée littéraire 2021.