Chroniques régulières sur des livres, présentations de nouveaux auteurs

💙💙💙💙 LA CICATRICE de Bruce Lowery

RESUME : De la différence à la rancœur 

Souffrant de sa différence, un enfant vit sa rancœur avec frustration avec un mélange de jalousie, colère et mensonges.

Editions J’ai lu
(21/10/99)
1944. Jeff affublé d’un cicatrice affiche une malformation disgracieuse au niveau du visage où un bec de lièvre apparaît comme un stigmate en guise de sourire. Ses parents et son petit frère Bubby l’entourent d’amour et d’attentions pour le soutenir à tolérer ce « handicap ». En revanche, à l’école, ses camarades impitoyables lui attribuent le quolibet de « grosse lèvre ». Exclu des jeux et moqué à souhait malgré les recommandations de l’institutrice Mademoiselle Martel, la cour de récréation s’apparente à une arène dénuée de la moindre tolérance.
Au sein de cette mêlée belliqueuse, la sollicitude providentielle du populaire Willy estompe peu à peu les railleries des autres camarades. Et, leur passion commune réunit Jeff et Willy autour de la philatélie. Et bientôt, l’amitié entre eux influera sur l’intégration de Jeff.  
Ainsi, en toute confiance, Willy présente sa collection de timbres à Jeff, un amateur averti. Or, celui-ci y décèle la beauté et la rareté d’un précieux « timbre transparent » qui éveillera vite sa convoitise. Alors une très forte tentation de posséder un tel joyau le pousse à le dérober, lors d’une visite chez son ami. Et lui seul pouvait être l’auteur du forfait.
Mais, Ronald un autre ami Willy, présent au moment de l’incident, répand l’accusation de vol. Le discrédit jeté sur Jeff ébranle vite son intégration scolaire toute récente et sa mauvaise posture ne le fait pas infléchir. Pire, il va se fourvoyer dans son obstination à nier le vol et à garder le produit de son larcin. Seule la trahison de son unique ami qui ne l’en croit pas capable le met dans une impasse.
La mauvaise foi gagnera sa conscience et brisera la bienveillance de ceux qui l’aiment… 

MON AVIS : De la différence au handicap 

Le livre aborde divers thèmes.

De la différence

Le thème du handicap, intemporel et universel. Il faut replacer le récit en 1944 et le récit écrit en 1961. À cette époque, contrairement à aujourd’hui, le bec-de-lièvre se révélait comme une malformation difficilement résorbé malgré des chirurgies. Ici, dans « La cicatrice », l’idée de la différence est transposable à d’autres stigmates ou incapacités physiques.

J’admets l’exclusion de Jeff par ses camarades comme probable. Cependant la situation de rejet des enfants qui persiste du début du livre, me paraît assez peu excessive. En effet, les jeunes enfants sont moins enclins que les adultes à souligner la différence même si avec l’âge, la volonté d’uniformité comme marque d’appartenance au groupe grandit. Donc, l’auteur a choisi une note très pessimiste de la nature humaine avec ce prisme « cet âge est sans pitié », et des conséquences d’un dramatique d’un tel rejet.

Du poids de la religion

La religion dans le contexte du roman joue plusieurs rôles. Elle s’explique comme salut providentiel où le malheureux est quasi sélectionné par Dieu, comme une faveur reçue. Les principes judéo-chrétiens « heureux les aveugles… » alimentent ce culte.

Ainsi, la religion offre l’espoir pour Jeff. Alors, il répète avec naïveté et la ferveur ces prières porteuses d’un espoir de guérison ou du moins d’acceptation de ce handicap. Et ces supplications à ce Dieu tout puissant analysées comme LE REMÈDE font d’abord sourire. D’ailleurs, chaque matin, l’enfant guette devant le miroir le miracle attendu de constater sa cicatrice gommée où on s’émeut donc de sa désolation devant l’inefficacité de sa foi. Et bientôt, tel un terreau de son aigreur, ce sentiment d’injustice fera naître en lui une rancœur croissante. Il vit la prière comme une invocation superstitieuse, un code à respecter pour remettre tout en ordre. Après l’échec de la chirurgie, quelle solution lui reste-t-il si Dieu l’abandonne ?

La famille

Son rôle, prépondérant dans le soutien envers l’enfant, lui offrent dans son foyer le refuge nécessaire. Cependant, la surprotection des parents de Jeff montrera ses limites :

Page 18 : « raconte mon garçon. Nous t’écoutons Nous sommes là pour ça. »

Encore faut-il le pouvoir…

La Seconde Guerre mondiale

Willy est le jeune frère d’un militaire de carrière mort en service. Or, cet adolescent présente de grandes qualités en contraste avec le héros du roman : populaire mais modeste, clément mais pas crédule. Doté d’une grande générosité, il montre sa bonté envers Jeff. Aussi, son attitude de bienveillance, sa miséricorde dans l’affaire du vol de timbres renforce encore cette impression d’humanité d’autant plus qu’il est LA victime.

Monsieur Sandt, ce vieil homme, offre à Jeff une amitié gratuite et compréhensive. Pourtant, dans cette période de guerre, il est prudent de se faire discret. Les visites régulières de Jeff, lui ouvrent une brèche de sagesse suggérant à l’enfant comment s’en sortir la tête haute.

De la rancœur à la méchanceté 

D’abord criante de cruauté, l’attitude des enfants à l’école déteint ensuite sur le caractère de Jeff.  De plus en plus insensible, il s’enferme dans ses mensonges. Sa défiance à l’égard de tous se renforce. Alors que ceux qui l’aiment ne perçoivent pas sa souffrance morale, et lui-même n’imagine pas les conséquences de ce que lui dicte son instinct. Ainsi, il s’enferre dans un marasme. L’adversité l’a endurcit car sa conscience le travaille et pourtant… La fin du roman est poignante d’émotion.

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Quelques citations

Page 21 : Chose curieuse, cet unanime accord contre nous autres, les exclus, consolidaient « leur » unité, « leur » coopération. Se chamaillent -ils ? Il suffisait que leur regard tombât sur l’un de nous et immédiatement ils étaient réconciliés. Aucun sujet de discorde ne tenait devant l’hostilité  compacte qui cimentait leurs alliances. Nous servions de prétexte à tout  dégorgement de haine, de cible à tout excès de méchanceté.
Hélas ! On ne pouvait pas supprimer les mauvaises actions, comme on ne pouvait pas s’envoler, ni faire disparaître une grosse lèvre.

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