Chroniques régulières sur des livres, présentations de nouveaux auteurs

LE CHÂTEAU DES RENTIERS d’Agnès Desarthe 💚💚💚💚

Profiter de sa vie pour bien vieillir 

Le souvenir du « Château des rentiers » sensibilise Agnès que vieillir la rapproche de la mort. Et pour appréhender avec sérénité l’issue fatale, elle souhaite recopier l’exemple de ses grands-parents* et leur mode de vie communautaire.

Mon avis 

Agnès se remémore l’immeuble où vivaient ses grands-parents, en harmonie avec leurs voisins. Ainsi, tous ces gens qui s’appréciaient, se soutenaient, évoluaient comme s’ils étaient dans un phalanstère. Ce système communautaire pensé par Fourier représente pour Agnès un havre de sérénité pour vieillir ensemble. Ainsi, se voyant vieillir à son tour, elle projette de reproduire ce modèle avec ses amis.

Ce livre permet de relativiser la dureté de la vieillesse et même de la mort. Pour ce roman, l’auteur explique son humilité de vouloir s’approprier ce sujet, et doute de sa légitimité pour écrire sur un domaine sans l’expérimenté. Alors, dans les chapitres intitulés « chœur », elle sonde plusieurs personnes à différents âges. À l’instar des usages lors d’études sociologiques, elles expriment leur ressenti sur leur âge. 

Par ailleurs, en bonne littéraire, la narratrice s’est enrichie d’autres auteurs et partage avec nous leur vision de l’après-vie. La mort que personne, finalement, ne connaît vraiment. Là, Cynthia Ozick
présente son Eden, traduit par Agnès. Sa conception sympathique et réconfortante de l’irrémédiable fatalité apaise la peur de la mort et permet de l’éloigner cette crainte.
Donc, le livre comme éloge du vieillissement panse nos inquiétudes parfois grandissantes au vu de la mort qui approche. Mais la transmission de la mémoire est importante. Loin d’être triste avec un problème si sérieux, il ne donne pas de leçons, mais procure une sensation rassurante de l’inéluctable destin. Car avant tout il faut vivre du mieux possible car si le bonheur est effacé, être joyeux peut aider. Ne manquez pas ce passage !

Mon coup de cœur — appréciez déjà les citations — pour cette rentrée littéraire 2023. La philosophie sympathique de l’auteure m’a conquise. Belles réflexions sur le deuil, la mort, la vieillesse, l’héritage, la transmission, la vie. Et finalement, j’ai presque envie d’aller rejoindre le phalanstère qu’elle envisage. 

Les souvenirs sont à présent ma rente. Je vis autant du présent que je me nourris du passé. Les années s’amenuisent, qu’importe ? Plus le temps qui me reste à vivre diminue, plus ce que j’ai vécu enfle et prospère. Je renverse l’iceberg.

* des juifs qui ont échappé à la mort lors des déportations.

Pour aller plus loin… 

Retrouvez Agnès Desarthe invitée à la « grande librairie » mercredi 20 septembre 2023 : 

Jusque très tard dans ma vie j’ai continué d’avoir ce problème : ne pas oser demander, parce que j’avais honte de ne pas savoir, de n’avoir pas écouté quand il était temps, de ne pas m’être documentée, de n’avoir rien retenu.

je me dis que notre génération a vécu dans un confort tel que la vieillesse a cessé d’être un privilège – le privilège de ceux qui s’en sont sortis, qui ont échappé à la mort, dont la santé a permis qu’ils résistent à diverses épidémies. La vieillesse, pour nous, n’est que déchéance. Notre génération a tout à perdre en vieillissant.

Comme je l’ai dit, je n’aime pas voyager « en vrai », mais on m’embarque très facilement en pensée. Je cultive ma propre crédulité, comme certains prennent soin de leur automobile ; il s’agit de mon meilleur moyen de locomotion, le seul que je considère comme réellement fiable.