Chroniques régulières sur des livres, présentations de nouveaux auteurs

💚💚💚💚💚LE GRAND VOYAGE DE LA MARIE-AMELIE d’Olivier Cojan

RESUME

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7/01/2021
400 p.
1740. Saint-Nazaire. Guinée. Saint-Domingue
Simon Levrault envisage d’épurer ses dettes avec un travail lucratif de chirurgien à bord de la Marie-Amélie. Bien que profane dans la traite négrière et la navigation, il s’engage sur ce bateau négrier au départ de Saint-Nazaire. Là, en plus de la surveillance sanitaire de l’équipage, il est responsable d’un négoce rentable d’esclave à partir de son estimation de la marchandise de Nègres. Ainsi, après une escale aux Canaries et un mal de mer violent, Simon  s’attelera à la tâche en Guinée.
À l’arrivée, le navire nécessite un aménagement pour remplacer la cargaison de poudre et d’eau-de-vie contre l’entassement d’esclaves. Pendant ce temps, le capitaine présente Simon aux notables locaux, ces Français qui régentent l’omniprésence et le rayonnement de la force royale de Louis XV. Durant cette pause à terre, Simon observe. À sa grande surprise, les Noirs, êtres animés de mœurs et coutumes confirmeraient presque les propos subversifs du père Chabrier. Et malgré son humanité éveillée, Simon met en pratique sa compétence négrière de la sélection consciencieuse des Nègres, Négresses et Négrillons à leur vente aux enchères. Or, au milieu du lot, la prestance de Maüra le fascine.
Alors, après des dysenteries, des vers de Guinée, des pertes de marins et de Noirs, des conditions de vie adoucies entrainant une révolte, le voyage s’achemine enfin aux Antilles. Mais la vente de la cargaison d’esclaves à Saint-Domingue va bouleverser le destin de Simon quand M. Kerouaz enchérit pour acquérir Maüra…

MON AVIS Mon coup de cœur du mois !

Un pan peu glorieux de l’Histoire complète nos souvenirs scolaires parfois limités au « commerce triangulaire ». Ici, de nombreux détails enrichiront notre culture de films, livres ou biographies relative à la réalité douloureuse d’une exploitation outrancière de l’homme : l’esclavage. L’écriture remarquable dans un vocabulaire soutenu et très agréable resitue le contexte économique et social de l’époque. Toutes les étapes subies par des sujets voués à devenir esclaves sont distillées au fil du récit, et l’examen de conscience du narrateur atténuent la déshumanisation ambiante. Cet aspect romanesque procure ainsi l’originalité du « grand voyage » aux Antilles. L’aventure de Simon au caractère peu affirmé en apparence, va nous transporter. En effet, il va révéler une volonté effrontée. Cette illustration romanesque autour d’un fait historique nous éclaire sur une société basée sur un rapport de force humain. On comprend le chemin épineux de la conscience collective à réviser sa politique négrière.

Aussi, le schéma du trafic négrier est décrit au fil des pages. Le réalisme s’articule autour d’un éventail de personnages des différentes strates sociales selon l’espace géographie donné. Sans se prétendre être un manifeste pour l’abolitionnisme, cette fresque historique développe les pensées racistes de l’époque basée sur l’idée hypocrite d’une supériorité de la race blanche. Ainsi, l’expérience de Simon a ébranlé ses quelques convictions et se morfond alors de sa participation à une barbarie mondiale.

Il illustre bien le Français moyen indifférent à l’esclavage pratiqué dans des territoires si lointains, et à la provenance de produits alimentaires quand il peut s’en procurer. Pour son enjeu économique, les politiques ont encouragé ce trafic de Nègres géré par quelques affairistes peu scrupuleux. Il a en plus développé certaines villes côtières françaises.

Le narrateur, candide, mais intelligent et romanesque partage son analyse à travers son expérience. Exclure les Noirs du genre humain, en les considérant dépourvus d’intelligence, de sentiments, ou de ressentis, permet de rendre très acceptable ce commerce. Dans le même temps, le rayonnement de l’Europe s’appuie sur la position ambiguë de l’Église — le personnage du père Chabrier est instructif —.

UN GRAND VOYAGE 

Nous partons dans un brigantin de l’estuaire de Nantes, pour La Guinée et ensuite les Antilles. Alors, on voit avec quelle ingénieuse modification du navire, celui-ci s’adapte aux différentes contraintes des cargaisons. Mais l’espace confiné et turpitudes météorologiques soumettent les hommes à une hygiène douteuse marquée d’une ambiance malodorante.

Difficile à supporter pour l’équipage, c’est pire pour les esclaves et on comprend les risques de révolte. Les stratagèmes pour rendre la marchandise d’esclaves attrayante sont bien huilés : ils sont « préparés » psychologiquement et physiquement avant de débarquer.

LE COMMERCE TRIANGULAIRE

Le trafic s’organisé autour d’un troc entre trois continents. Armes et alcools s’échangent contre esclaves, revendus contre du sucre et autres fruits exotiques.

Le marché aux esclaves, comme pour une foire aux bestiaux, évaluation et sélection mais il s’agit ici d’hommes, femmes, et enfants selon des barèmes de quotas établis.

Personnellement malgré beaucoup de lectures sur le sujet, j’ignorais ou avais oublié comment certains hommes se retrouvaient vendus et réduits à l’esclavage. Là encore, la soif de pouvoir et de possession quel que soit le système sociétal montre sa cruauté. Contre armes et alcools, les chefs des tribus africaines ennemies vendaient leurs captifs aux Européens, et ces futurs esclaves ignoraient la perspective infernale qui leur était réservée.

L’ÉVOLUTION DES MENTALITÉS 

La conscience de Simon chamboulée au fil des pages. On imagine la morale collective à propos d’une race inconnue car lointaine. La condition de l’homme noir, refoulé à la limite celle de l’animal est abolie mais tolérée dans le contexte du livre. La crédulité d’une population manipulée explique ce mépris et méfiance pour cette «marchandise».

L’éclairage du Père Chabrier ouvrira la conscience de Simon malgré son sceptique de prime abord sur le discours subversif. Et peu à peu, au contact de ses protégés sur le navires, et sa rencontre avec Maüza, une nouvelle évidence va devenir une épreuve pour lui !

Mes remerciements au site Babelio.com (opération Masse Critique) pour cette offre de service de presse. Je recommanderai à tous ce roman historique.

Mon coup de cœur du mois !

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CITATIONS

p. 97 : Nous avons beaucoup à apprendre des peuples à la peau sombre, me fit encore remarqué le père Chabrier,. mais nous ne voulons rien savoir de ces gens, seulement en faire des esclaves en niant leur capacité à se servir de leur raison et en usant de la ruse ou de la violence pour les soumettre à notre volonté.
Page 134 : […] en ce qui me concerne l’écriture n’est pas une maladie ben, c’est un remède pour soigner les maux de mon âme.
Page 265 : Il n’était pas impossible qu’il fût sincère dans sa prière et qu’il estime que la traite, dans tout son horreur, faisait partie du grand destin voulu par le Tout-Puissant. Il faut toujours se méfier de ceux qui mêlent sans cesse Dieu aux affaires humaines.
page 278 : Ceux qui ne veulent rien connaître d’une vérité ont bien le droit de regarder ailleurs, mais alors ils sont complices par le mensonge, coupables d’indifférence et de lâcheté.
page 324 : Le rire était sa façon de répondre à l’incohérence du monde et de sa propre existence. La vie mérite parfois qu’on se moque d’elle et qu’on oppose à ses grimaces les plus sordides d’irrésistibles du rire.
page 354 : […] C’est justement pour ça que le théâtre existe, pour nous permettre de vivre avec tous les malheurs du monde, toutes les tristesses et en même temps toutes les espérances qui nous traversent. C’est en nous identifiant aux personnages qui devisent sur la scène qu’on trouve la force de vivre et de ne pas sombrer dans le désespoir.

Reader Comments

    1. Merci de votre visite, j’espère que vous l’apprécierez autant que moi. Bonne lecture et excellente journée !

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