Chroniques régulières sur des livres, présentations de nouveaux auteurs

💜💜💜💜 L’HEURE BLEUE de Celia Fremlin

RESUME 

Edition Le Masque
215 pages
Juin 2019
Mark et Louise Henderson vivent dans un petit pavillon d’une banlieue anglaise, avec leurs enfants Harriet, Margery, et leur dernier-né Michael. Celui-ci, à force ne jamais dormir la nuit, épuise ses parents de ses pleurs et surtout d’un manque de sommeil incommensurable. Ainsi, va s’installer une tension croissante dans le couple et dans la famille. Pour épargner son mari qui doit assumer son travail, Louise a élaboré un subterfuge pour éloigner les bruits des pleurs nocturnes.
Néanmoins, la situation leur aliène un voisinage bienveillant, en la personne de Mme Philips, une vieille fille acariâtre qui se plaint ouvertement des chahuts du bébé. Ils l’incommodent, à l’instar du comportement « inconvenant » des aînées, des petites filles vives qui s’amusent.
Louise, encaisse tous ces reproches sans mot-dire, malgré ses efforts pour tenter de pallier les tohu-bohus des enfants et aplanir les tensions de toutes parts. En bonne mère de famille, elle reste digne : « Une femme qui devait elle-même interpréter ce personnage efficace et maternel, toujours prêt à nettoyer, arranger, apaiser. »
Et un jour, candidate chez les Henderson pour louer leur débarras tout juste aménagé à cet effet, Vera Brandon. La démarche déstabilise Louise, obligée de s’accommoder de cette professeur, célibataire, malgré ses réticences devant l’aplomb de sa locataire.
Mais Mark apprécie vite cette femme pour sa culture littéraire, tandis que Louise, elle, reste circonspecte sur son jugement. Déjà, Vera Brandon lui procure en effet une bizarre sensation de « déjà vu ». De plus, son comportement l’intrigue, et sa présence lui inspire un malaise perceptible. Mais difficile de confier ses impressions à qui que ce soit, sans paraître jalouse. Alors, obstinée, elle va se donner les moyens néanmoins à en savoir plus sur Vera. En effet, quoique coincée dans ses obligations maternelles, Louise veut mettre au jour le mystère caché par Vera, quitte à faire montre d’un comportement anormal aux yeux des autres. La fatigue aidant, elle n’est pas loin de passer pour folle…
Qui va croire qu’elle ne déraisonne pas ? Que cache Vera Brandon ?

MON AVIS

Tous mes remerciements s’adressent au site Netgalley, ainsi qu’aux éditions Le Masque (petit prix, petit format et 300 pages !) pour la découverte de l’auteure injustement méconnue. Je le considère comme mon coup de cœur du moment. Sa biographie illustre son talent d’écrivain et cet ouvrage l’atteste.

Celia Fremlin (1914–2009) est née dans le Kent en Angleterre et a étudié à l’université d’Oxford. Son premier roman, « heure bleue » est paru en 1958 et a remporté le prix Edgar du meilleur roman. Depuis, Celia Fremlin a publié dix-huit ouvrages et est devenue membre du Detection Club –association prestigieuse d’auteurs britanniques de romans policiers qui comptaient Agatha Christie et Dorothy Sayers parmi ses membres. L’heure bleue n’a été publiée en langue française pour la première fois qu’en 1996 par Le Masque redécouvert en 2017 par l’éditeur britannique Faber & Faber, ce grand classique de littérature policière est lauréat du prix du Masque de l’année étranger 2019. 

J’ai apprécié le style d’écriture de grande qualité de ce roman avec une intrigue addictive. Les thèmes encore actuels, l’ambiance d’une intrigante qui pénètre dans un foyer sont universels et intemporels. Le scénario et le dénouement m’ont étonnée d’avoir été élaborés au siècle dernier : le roman a si bien vieilli que l’imaginais volontiers porté à l’écran dans une version contemporaine ! Ce roman à suspens autour des préoccupations quotidiennes de la femme au foyer devient un véritable thriller « domestique ». De nombreux personnages agrémentent l’intrigue, et assurent un rythme soutenu.

Desperate Housewife

On pénètre dans un foyer typique anglaise, y règne une sérénité relative mais normale. Là, Louise la mère de famille, prend en charge ses tâches domestiques avec ferveur malgré des contraintes impondérables comme celle d’un dernier-né difficile à gérer. Le stress permanent de Louise nous captive du début à la fin, surtout pour qui aura déjà assisté – ou vécu – au désarroi de parents de bébé qui ne « fait pas ses nuits ». Il inflige alors des souffrances morales, nerveuses et physiques. Pourtant Louise mène son quotidien avec ferveur, entre les sollicitations des aînées, du bébé, des « copines » envahissantes en attente de services, et les plaintes des voisines. Une pointe d’humour  déborde dans la description de ces situations parfois cocasses. On ajoute à cela Mark, son mari grognon peu disposé, même s’il semble « aider » sa femme par moment.

En tous cas, elle a toutes les raisons de craquer ! Alors, on comprend d’autant mieux ses doutes quand elle se compare à d’autres mères plus « organisées » en apparence, et quand s’insère dans le tableau une Vera Brandon, qui subjugue Mark de sa disponibilité et de sa stoïcité !

Un sournoise intrigue

Rien de violent, d’époustouflant dans la trame mais l’air dégage un malaise latent.  Louise tourbillonne dans  ses tâches, tandis que s’insuffle une tension autour d’elle. Elle en a l’intuition, et le lecteur se demande lui aussi à quel moment un « truc » va se produire. Un suspens bien entretenu, mais pas surchargé de détails pour le noyer.<Seule dans ses tourments maternels, quand surgit dans sa vie une intrigante, il est impossible à Louise de confier ses impressions à son entourage. L’aplomb et l’attitude hostile envers elle de Vera Brandon, apporte un dosage parfait d’intransigeance avec Louise et d’humanité au vu de Mark. On observe tout au long du récit, une bonne cohérence des actions et des réactions, qui selon moi jauge d’un crédibilité nécessaire à l’ensemble. Or, ici tout y est.

Vous pouvez vous procurer l’ouvrage chez votre libraire, chez DECITRE ou à la FNAC.
Votre avis sur la chronique ou le livre est le bienvenu…

Citation(s) pour en avoir avant-goût

A force de négliger ses propres désirs, ne finit-on pas cesser d’en avoir ? Pas cesser complètement d’être, en faite, un être humain pour devenir un simple gadget à gagner du temps pour toute la maisonnée ?
Aucun lange, aucun vieux morceau de pain mâchouillé. Louise soupira. Elle n’hésite pas à demander à la jeune femme comment elle s’y prenait. Mais cela n’aurait servi à rien. Les mères efficaces ne savent jamais vous dire comment elles font. Les bébés propres et sages, les ours en peluche qui ne collent pas, semblaient leur arriver comme ça.
Peut-être était-ce exactement ce que ressentent les fous : se voir logiquement et inexorablement acculé à commettre leur folie est complètement privé de choix. 
 Même le plus génial des stylistes n’avait jusqu’ici pas encore inventé un accoutrement qui puisse à la fois fasciner un époux las et recevoir des renvois de purée d’épinards. 
Comme elle décrivait mal le sentiment de fatigue qui vous ronge sans relâche, vous vide, corps et âme, et réduit à néant toutes les joies du mariage.